Interview : la genèse de Malicorne (4)
Résumé : Nous sommes en 1981, sortie de l’album Balançoire en feu et ultime tournée pour Malicorne qui a décidé d’arrêter…
GABRIEL YACOUB : « Tout ce courant d’idées qui nous avait porté, aidé, auquel nous avions contribué d’une certaine façon, nous pesait à présent. Pour nous, c’était un peu révolu, on avait vraiment envie de passer à autre chose, d’écrire et de chanter d’autres choses. On ne s’est pas arrêté parce que ça ne marchait plus : on aurait pu persévérer comme Tri Yann l’a fait. Mais on ne voulait pas se lasser. Et donc finir sur cet album qui fut une sorte de révérence. Pas trad’. »
MK : Sous Malicorne perçait un peu Yacoub. Ce ne t’était pas frustrant de déléguer le soin, en l’occurrence à Roda-Gil, d’écrire des chansons ?
« Non, j’étais ravi. J’en avais envie, certes, mais je savais pertinemment que je n’en n’étais pas capable. Et même après il m’a fallu six ans encore pour sortir les premières chansons. J’étais un tel amoureux des vieilles chansons que tout ce que je pouvais écrire moi-même je trouvais ça nul. Je comparais tout le temps puis je jetais mes textes à la poubelle. J’ai attendu cinq ans, non pour être meilleur mais pour cesser de faire une telle comparaison. »
Fin 81, début 82, Malicorne s’arrête. Tu te retrouves libre comme l’air mais sans rien.
« Oui, mais avec beaucoup d’ambition. Chacun d’entre nous avait des envies différentes. Marie avait envie d’arrêter ; elle était fatiguée de tourner et s’est trouvé une occupation sédentaire, plus stable. Moi, j’avais envie d’écrire. Je continuais à tourner, en solo, mais pas beaucoup, très en marge. Et j’écrivais, j’écrivais. Petit à petit, j’ai commencé à garder des bribes de chansons, des morceaux, des entières. »
Tu arrives à en vivre ?
« Très difficilement, je dois dire. J’ai fait des petits boulots, des trucs pour subsister. C’est à cette époque-là que je suis allé m’inscrire aux assedics et que je me suis aperçu que je n’y avais pas droit. Car, sous Malicorne, ça marchait bien et je n’ai jamais pensé ni cotiser ni pointer ni me manifester : je n’existais pas ! »
Tu avais quand même diverses collaborations…
« Très peu de choses. C’était le début des années quatre-vingt. Au niveau musical, les choses allaient totalement à l’encontre de notre famille artistique : nous étions (car je n’étais pas le seul dans ce cas) dans les choux. Peu de gens étaient intéressés par mes concerts. C’est l’époque où j’ai commencé à tourner aux Etats-Unis et au Canada. Alors qu’en France je n’avais que trois concerts par an. »
Tu avais un agent aux Etats-Unis ?
« Oui. J’ai commencé à y tourner en 82 et je n’ai jamais arrêté depuis. Je faisais une tournée magnifique de trente dates là-bas ; je revenais en France et n’avais rien durant six mois. »
Au fur et à mesure que l’écriture te vient, il y a de quoi faire un album. Et ce sont Les Cathédrales de l’industrie…
« Il y avait de quoi faire deux albums ! En même temps que j’étais en négociation aux Etats-Unis pour faire ELF (Elementary Level of Faith), en France j’étais en conversation avec une maison de disque que je ne nommerais pas – je ne les aime pas ! – pour faire un album. C’étaient deux projets distincts, pas imbriqués l’un dans l’autre. Et les deux se sont concrétisés à peu près au même moment. Le disque que je faisais en France était censé être mon premier disque d’auteur. La maison de disque a décidé, un peu contre notre gré, d’appeler ça « Malicorne » plutôt que d’appeler ça « Yacoub », en espérant en vendre plus. Ce qui était une erreur tactique et commerciale totale ! Et ça a bouleversé tous mes projets. Je ne pouvais faire Malicorne sans Marie qui n’avait pas envie et ne voulait surtout pas tourner. Je lui ai dit « tu es juste invitée ». Ça a été un fiasco total : les gens ne comprenaient plus rien. Ressortir Malicorne six ans après avec une musique qui n’a plus rien à voir… »
Mais quand même toujours avec ce timbre, cette empreinte Malicorne…
« Y’avait moi, Marie, des cornemuses, un peu les ingrédients parce que c’est ce que j’aime, que je mets dans mes disques. Mais c’était complètement différent. Ça frisait l’escroquerie pour les gens qui croyaient acheter du « Malicorne ». »
Si tu en avais récupéré les droits, tu aurais redonné à ce disque sa vraie paternité ?
« Le patron de ce label n’a jamais voulu céder les droits. »
Il s’en est suivi une courte tournée sous le nom de Malicorne…
« On est allé partout, en Angleterre, aux États-Unis, en Belgique, partout. Mais avec un groupe bidon, fait de bric et de broc. De Malicorne, il n’y avait que moi. Si, Marie est venue sur une partie de la tournée pour nous rendre service. C’était ridicule, ce groupe bancal. Mais ça m’a permis de rencontrer Yannick Ardouin, avec qui je travaille depuis. »
Épilogue : Gabriel Yacoub est à la hauteur d’une importante et superbe discographie à son nom. Il importe de découvrir cet auteur et chanteur de premier plan. Quant à Malicorne, définitivement disparu, il a fait une réapparition par nature exceptionnelle au dernières Francofolies de la Rochelle, « à l’invitation de Gabriel Yacoub », en juillet 2010.
Post scriptum 2014 : On sait désormais que ce concert de La Rochelle fut un détonateur à la résurrection de Malicorne. On lira ici tous les articles consacrés à ce groupe par NosEnchanteurs y compris le concert d’Aubercail en juin 2013 et celui du Trianon, à Paris, en septembre 2014.
Un grand merci pour cette serie sur Malicorne et Gabriel
Yacoub. Outre que cela nous eclaire sur l’histoire de ce groupe, c’est egalement une bonne occasion de faire connaitre Gabriel et ses propres chansons. Il a peut-etre mis le temps a les ecrire, mais ce que j’ai decouvert depuis quelques annees vaut vraiment le detour. Ce qui n’enleve rien au fait que Malicorne etait une sacree periode dans l’histoire du folk progressif a la francaise, un melanche de fantastique et de sons venus d’ailleurs…
J’ai eu le plaisir de monter des concerts avec Gabriel autrefois aux Etats-Unis et de l’inviter à mon festival « L’Air du temps » aux alentours de Boston. Il reste un de mes auteurs-compositeurs favoris et je le passe assez souvent à la radio dans « French Toast » (dispo à tout moment sur wmbr.org). Il a figuré aussi sur une des compils que nous avons faites pour nos auditeurs qui soutiennent WUMB, radio entièrement bénévole.
Une belle aventure . Malicorne passait souvent sur » FR3 Auvergne, c’est aussi la radio » , beaucoup moins depuis que notre radio régionale est repassée à Radio France . Gabriel Yacoub a bien dépoussiéré nos vieilles chansons , il a donné des ailes à nos racines , dans une langue parlée de Dunkerque à Tamanrasset et partout ailleurs dans le monde .