Interview : la genèse de Malicorne (2)
Résumé de l’épisode précédent : Après le succès du disque Pierre de Grenoble vient la constitution d’un groupe : Malicorne. Et la sortie du premier album, en 1974.
On lira la première partie de cet entretien ici.
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Gabriel Yacoub : « Il ne faut pas en faire une montagne, mais c’est vrai que ce premier disque de Malicorne a marché tout de suite. Un vrai succès populaire même si on peut compter sur les doigts de la main les passages télé et radio. On jouait dans des salles importantes, pleines. Il y avait ce bouche-à-oreilles, le côté sympa de la marge. À cette époque, beaucoup de groupes fonctionnaient ainsi sans support médiatique : Ange, Gong… qui remplissaient les salles, tous ignorés qu’ils étaient des radios. Ça a été pareil pour Malicorne. On a été catalogué « marginal » d’office. Sans que ce soit un problème d’ailleurs : c’était comme ça, les gens du métier en avaient décidé ainsi. Ce n’était pas notre choix, bien sûr. Mais ça a tout de suite bien marché. »
Michel Kemper : Vous étiez une référence, en bien ou en mal, dans le folk…
« Il y avait une petite guerre amusante, à l’époque. Les puristes étaient encore plus passionnés que nous : ils avaient des idées préconçues sur la façon dont il fallait faire les choses. Ou ne pas les faire. Choix subjectifs, bien évidemment. Nous, ce qu’on faisait, c’était une proposition : on n’avait pas ces limites-là, on s’en foutait complètement. C’est peut-être aussi ce qui a fait le succès du groupe : on pouvait toucher des gens de sensibilités différentes. J’ai déjà entendu des gens dire : « Je déteste le folk, sauf Malicorne », ce que je trouve flatteur. Parce qu’il n’y avait pas de limites, et pas ce côté « On va reproduire ce qu’on faisait au 19e siècle. » Ce qui était grotesque d’ailleurs, car pourquoi le 19e plutôt que le 16e ? Là, on était au 20e siècle, on faisait avec notre petite sensibilité. Avec la sincérité et l’enthousiasme de la jeunesse : on ne pouvait pas se tromper, c’était notre proposition, pas la vérité ! »
Très rapidement on en vient à des disques thématiques…
« C’est un truc qu’on aimait bien. »
Un choix collectif ?
« Bien sûr. À l’époque, je crois, les disques avaient un peu plus de valeur qu’aujourd’hui. Pour nous, c’était non seulement un événement mais aussi un objet. Il y avait la notion de durée, et ces deux faces qui, parfois, provoquaient des choix particuliers dans la façon, par exemple, de commencer une face et de la terminer. On trouvait, comme dans un spectacle avec entracte, des progressions, ou une espèce de mouvement dramatique… L’histoire de concept, c’est un peu particulier. C’était dans l’air du temps aussi bien chez les groupes rock que dans d’autres domaines musicaux. Et nous, qui interprétions des chansons traditionnelles existantes, nous avions l’embarras du choix. Plus ça allait – et c’est allé très vite – et plus le choix était immense. On sélectionnait les chansons en fonction de leur esthétisme, de ce qu’on ressentait au niveau du texte, de la musique et des idées d’arrangements qui pouvaient nous donner cette envie de les interpréter. Ça veut dire que ça pouvait être complètement débridé : une chanson d’amour, une autre de soldat qui part en guerre, etc. Très vite, on s’est aperçu qui, si on mettait des chansons ensemble sur un thème commun, on pouvait, sans dire le mot, faire des espèces de mini-symphonies. Le fait de juxtaposer ces œuvres, comme un galeriste va exposer ses toiles, les confronter. Ça donnait une dimension encore différente à ces chansons, plutôt que d’avoir des œuvres jetées, là, par hasard. D’avoir une ambiance. D’où Le Bestiaire, L’extraordinaire Tour de France d’Adélard Rousseau… Ça nous donnait une trame pour le choix des chansons. »
Vous aviez le temps de collecter ou vous aviez des « rabatteurs » ?
« Je ne veux pas raconter d’histoires : nous n’avons jamais fait de collectage. Ou plutôt si : je crois que ça a dû durer deux semaines en tout et pour tout. Il y avait des gens passionnés, plus scientifiques qu’artistes, qui faisaient ce travail. Et très bien. À cette époque et en partie grâce au succès de ce mouvement musical, donc en partie à Malicorne, tout un travail de publication. Quand on s’est aperçu de l’intérêt qu’avaient les gens pour ces musiques-là, on a vu fleurir des publications de partout. Dont beaucoup de collectages effectués en début du siècle, en 1901 précisément, où un ministre, Hippolyte Fortoul, avait ordonné une collecte au niveau national. Collecte qui passait par le biais des écoles, de ces instituteurs qui demandaient à leurs élèves de questionner leurs parents et grands-parents, d’essayer de recueillir des musiques, des chansons, des textes que l’instituteur recopiait et dont le professeur de musique transcrivait les notes. Tout ça était resté dans des archives, très peu avaient fait l’objet de publications. Les trois quarts sont à la Bibliothèque nationale.
Il y avait aussi de ces passionnés qui faisaient un magnifique travail de collectage. Mais c’est un travail à temps plein. Nous on avait vingt ans et on voulait faire du rock n’roll : le choix était vite fait ! C’est pour ça qu’on s’évertuait à chercher plutôt dans les publications, les bouquins. Et des rencontres. À cette époque, j’achetais tout ce que je trouvais : je me suis constitué une documentation conséquente. C’est dans les bouquins qu’on apprenait, contrairement à d’autres gens de l’époque. Je pense notamment à Mélusine : Jean-François Dutertre, Jean-Lou Baly et Yvon Guilcher ont fait, eux, beaucoup de travail sur le terrain. Mais eux, ce n’étaient pas des showmen ; ils ne faisaient pas de rock n’roll mais de la recherche, de la collection. Ils étaient aussi chanteurs mais géraient leur temps d’une autre façon. Notre règle d’or, chez Malicorne, c’était notre plaisir à nous, avant de le communiquer au public. S’éclater, s’amuser à faire la musique qu’on aime. Après, les moyens, c’était notre fantaisie, nos caprices. »
Cette interview-genèse est en quatre parties. Lires les autres volets :
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