Morts au chant d’honneur
La chanson française est, cette année 2011, saturée d’anniversaires. De trépassés qui la conjugue chaque fois un peu plus au passé. « Gainsbourg, Brassens et Trénet composent une année haut de gamme » titre sans rire le quotidien L’Alsace de ce jour, qui ne veut retenir pour mémoire que ces trois « monstres sacrés » Dommage pour les autres, définitivement morts.
Cette année voit en effet le trentième anniversaire de la disparition de Bernard Dimey (juillet 1981), Jean-Michel Caradec (juillet 1981), Georges Brassens (octobre 1981), Christine Sèvres (novembre 1981) et Gaston Ouvrard (novembre 1981, souvenez-vous de « J’ai la rate qui s’dilate, j’ai le foie qu’est pas droit… ») ;
Un quart de siècle nous sépare de la mort de Daniel Balavoine (janvier 1986), de celui de Pia Colombo (avril 1986) ;
Vingt ans après, on se souvient ou pas de Serge Gainsbourg (mars 1991), Patrick Deny (avril 1991), Maurice Fanon (avril 1991), Yves Montand (novembre 1991) et Mort Shuman (novembre 1991) ;
Les jeunots (dix ans seulement, des bleus !) sont nombreux aussi : Charles Trénet (février 2001), Francis Bebey (mai 2001), Carol Fredericks (juin 2001), Philippe Léotard (août 2001), Michel Corringe (octobre 2001) et Gilbert Bécaud (décembre 2001).
Au final, il n’y en aurait donc que trois à béatifier : Brassens, Gainsbourg et Trénet. Et pour l’État français, dans ses fameuses commémorations, qu’un seul : Bécaud. Y’a de la déperdition.
Qu’ils célèbrent trois dépouilles ou plus, nos journaux ne savent de toutes façons parler de chanson que sous cette forme : « Moi j’bichais car je les adore sous la forme de macchabées… » chantait si bien le père Brassens. La chanson qui se vit au présent ne les concerne pas, sauf qui elle touche le jackpot et squatte sans retenue radios et télés. Les journaux ne flattent plus que le succès. J’ai longtemps tenté, dans les colonnes de la presse régionale, de faire vivre une chanson d’émotion, fleuron de cette fameuse exception française. J’avais un rédacteur en chef, parfaitement ignare, pour qui la chanson s’arrêtait à ses seuls souvenirs de jeune adulte et à ce que l’écran cathodique diffusait. Hors ça, elle n’existait pas et chaque nouvel article, chaque autre artiste, était pour moi un combat quotidien. Parler de Leprest, Forcioli, Pestel, Joyeux Urbains, Zambon, Bacchus et autres Polo, Lebègue, La Tordue et Lantoine semblait incongru. Alors qu’un mort célèbre, un vrai, fut-il embaumé depuis deux ou trois décennies, Brel ou Brassens, Gainsbourg ou Hallyday, ça vous vaut de pleines pages.
La chanson vivante peut difficilement se coucher dans le papier imprimé et, à de rares exceptions près, dues à ce qu’il nous reste de bons journalistes, nos quotidiens et autres supports presse ne sont bien souvent que le linceul de la chanson, passée, présente et à venir..
« La chanson française est, cette année 1991, saturée d’anniversaires. »
Même si tout le monde est sans doute prêt à accepter 20 années de bonus, nous sommes bien en 2011.
Merci Michel pour ce blog chaleureux et militant !
Gilles Liobard
Réponse : Bien vu, Gilles. A calculer les dates, je me suis un peu mélangé et permis vingt ans de rabais. Hé, je retrouvais presque mes trente ans ! MK
Que voulez-vous dire par : « Et pour l’État français, dans ses fameuses commémorations, qu’un seul : Bécaud » ?
Réponse : Dans son « catalogue » annuel des Célébrations nationales, le Ministère de la Culture établit une liste. Dans laquelle nous trouvons cette année deux chanteurs : Gilbert Bécaud mais aussi Johnny Hallyday, ce dernier pour le 50e anniversaire de son premier Olympia. Je vous recommande la lecture d’un récent papier de NosEnchanteurs sur ce sujet : « Hallyday inscrit aux Célébrations nationales ». MK
http://nosenchanteurs.wordpress.com/2011/02/08/hallyday-inscrit-aux-celebrations-nationales/
Bonsoir,
Pour Gilbert Becaud, c’est juste une évocation pour les 50 ans de la chanson « Et Maintenant » reprise dans le monde entier et par les plus grands (Elvis Presley, Franck Sinatra, Shirley Bassey, Aretha Franklin ect…) pas de quoi fouetter un chat.
Merci Michel, de défendre la vie ! Le regard sur le passé a ceci de bien qu’il ne nous fait prendre aucun risque. La célébration concerne les gens… célèbres ! Un jour viendra (« puis des millions de jours » disait Ferrat) où l’on mettra toute cette énergie à ouvrir grand les portes et les oreilles à ce qui chante obscurément dans nos contrées bien vivantes de talents ! Ne lâchons rien !
A Michel, à Bernard, à Christina, à moi aussi peut-être… même à Enora Montfort…
A ceux et celles qui attendent leur tour.
Et si l’on cessait d’admirer pour seulement tenter d’échanger nos singularités…
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Sur la scène, il n’y a qu’un spectacle.
La vie suinte dans la
coulisse et dégouline dans la rue. A défaut de la
vivre on peut en faire un jeu de miroirs.
La tentation est alors grande de chercher plus d’ex-
pansion de soi dans l’exacerbation de ce que j’ap-
pellerais une discipline, à laquelle on va se livrer et
(pour certains) même vouer sa vie…
Rien que d’inévitable là-dedans et même de salu-
taire si chacun (le spectateur et toi) s’accroche à
ses prémisses et persiste à ne pas être dupe : gar-
der énormément conscience que l’on évolue dans
le couloir du permis… à défaut de…
Sinon, le risque est grand de se laisser enfermer et
de se perdre dans la fascination d’un espace que
l’on va emplir de toutes les nuances particulières
et magnifiques de la quête de soi, de s’extraire…
et d’oublier que le point de départ de sa démarche
provenait d’une tentative de faire sauter les limites
réelles de sa vie…
Si ce n’est pas le cas, tout finira, comme tout le
reste, dans l’enclos de la marchandise, des distinc-
tions honorifiques … et de l’éloge funèbre.
Amitiés.
Claude.