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Les Vies liées… Premières armes

 

Septembre 1965. Bernard Oulion vient de passer trois ans à la Manufacture nationale d’armes de Saint-Étienne, au bout desquels il a obtenu, comme tous ses camarades, son précieux diplôme et son embauche. Parallèlement à son métier de fabricant d’armes, il est aussi et depuis peu de temps chanteur, sous l’énigmatique pseudonyme de Bernard Lavilliers : il a fait ses premières armes sur la scène de l’Amicale laïque Tardy, le 12 juin de cette année-là… Extrait du livre « Les Vies liées de Lavilliers », paru aux éditions Flammarion.

Atelier de tourneur (photo DR)

Après les vacances d’été, tous retournent à la Manufacture d’armes, cette fois-ci en tant qu’ouvriers, non au grade d’OS mais à celui de P1, récompense automatique pour qui vient d’effectuer ses années de CAP dans l’établissement. « Pour ma mère je suis devenu un homme quand je suis devenu un travailleur, quand je suis entré à l’usine et que j’ai rapporté des ronds à la baraque . » Premiers salaires d’ouvrier tourneur mais mauvaise pioche pour Bernard qui se retrouve dans le pire des ateliers, « la MS 33 », insalubre et bruyant, à travailler presque à la chaîne sur des tours semi-automatiques : on n’y fabrique que des pièces de moyenne série, en un temps chronométré.

Devant ton tour
Tu rêves pas d’Ève
Toi t’es la pomme
Et t’as une dent
Contre le bonhomme
Qui a nom Adam
Paradis de parodie la vie
La vie…
(L’Homme en bleu – B. Lavilliers, 1965)

La "Manu", Manufacture nationale d'armes de Saint-Étienne (photo DR)

Oh bien sûr, il y a cette carotte qu’est la prime et ce n’est pas rien. Mais on ne l’obtient que si on arrive quotidiennement au bout de sa production. Oulion ne la touchera jamais, désertant trop souvent son poste de travail, occupé qu’il est à démarcher in situ ses concerts. Car, hasard ou faveur, compétence ou piston, dans cette entreprise de près de trois mille salariés, on dénombre pas mal de présidents d’associations, de responsables de foyers laïcs, de presque notables du maillage socioculturel de la ville : autant de clients potentiels pour celui qui, dès la sortie du boulot, retrouve sa vraie identité d’artiste de variétés. Il faut être vraiment distrait pour ne pas savoir que le fils Oulion est aussi artiste. Ne vient-il pas au boulot avec son instrument, ce qui fera dire à son chef d’atelier un tantinet irrité : « Moi ça ne me dérange pas qu’il joue de la guitare, mais de là à ce qu’il l’amène dans l’atelier… » Bernard est si souvent absent de sa machine qu’on l’affuble d’un surnom qui en dit long sur l’énergie qu’il met au travail, à la Manu : celui de « lime sourde », tant il semble ne pas faire beaucoup de bruit avec cet outil. D’atelier en atelier, il s’en va faire la retape auprès de ses collègues ouvriers pour écouler sur place ses billets de concerts : « J’ai commencé à chanter quand je travaillais à l’usine. C’était des fois dans des amicales laïques, ou alors je louais un cinéma. Et le dimanche après-midi, je faisais des concerts. Enfin, des concerts, si on peut dire ! -Je vendais les billets à l’usine. Les mecs se disaient : Allez, on va lui faire plaisir. C’était pas cher. – Tu chantes quoi ? – Mes chansons. – Oh là là, merde ! Et ils venaient : c’est comme ça que j’ai commencé. Mais c’était pas terrible, ce que je faisais . »

Une réponse à Les Vies liées… Premières armes

  1. Philippe 19 février 2011 à 20 h 36 min

    Vivre son rêve, c’est possible, c’est exceptionnel !

    Répondre

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