Fables et fantaisies à la Fersen
Son nouvel opus, Je suis au paradis, sortira en début mars chez Tôt ou tard. Occasion de ressortir des classeurs ce vieux papier sur Thomas Fersen. C’était en avril 2000, salle Louis-Daquin à La Ricamarie. Sur le journal du lendemain, je sous-titrais : « On peut faire sien Fersen : il ne nous chante que des petites choses qui nous ressemblent et le fait avec un talent fou. Ce sont, en conséquence, de grandes chansons. »
Archive. C’est un nouvelliste de la défaite, un looser rimailleur, un gringalet qui s’aimerait costaud et beau. Qui funambule des mots, vous balance des tranches de vie, des fables et des fantaisies. Qui vous convie dans son univers, finalement proche du nôtre, tout banal, tristounet, frustrant qu’il est. Lui le prend sur un ton désinvolte, léger et guilleret. Qu’elles soient vécues par des femmes (Louise, Élisabeth, Irène…) ou par le truchement d’une foule d’animaux (blatte et papillons, lion et maudit canasson…), ses histoires, condensés de vie, semblent sorties de boîtes à musique scandées à souhait, mécaniques. Sauf l’émotion.
La scène fait non cabaret mais cave, abri qui évoque Kusturica, ses gitans et son Underground. Des chapeaux en suspension, habiles habillages de lumières, éclairent les musiciens, un par un. Des tapis au sol, de ceux qu’on a chez soi. Fatras d’instruments qui les touchent les uns les autres. Orchestre aux rom accents. Plaisir d’offrir, joie de recevoir. Et Thomas Fersen, en pitre qui, même s’il ne nous chante que la face pitoyable des choses, n’envoie que du bonheur. Celui qu’on mesure d’être là, en sa présence, dans une salle pleine mais à la configuration intime. Avec cet artiste d’un charisme étonnant, une sorte de Grand Duduche qui nous conterait ses mésaventures autant que ses rêves, ses souvenirs de caserne, les amours sublimés et contre-nature d’un parapluie et d’une chauve-souris, le monsieur assassin dont il est domestique… Et les lèvres de Louise… Et le public d’aimer qui renvoie à l’artiste son ravissement. « Si c’est pas l’amour / Ce sont les alentours » dirait Fersen. On saute avec lui d’une chanson l’autre, comme un cabri fou, s’enivrant de lui, buvant ses mots légers comme sa bière de Bohème.
Deux heures pleines et plus encore à regarder avec Fersen les clichés de son photographique univers, entre la tendresse d’un Doisneau et l’audace d’un Mondino. Entre exhibitionnisme et pudeur, mise en spectacle et pure retenue, ces deux faces que nous chante ce frêle jeune homme au régal sans pareil. Et le tendre public, à son tour, de se mettre à l’unisson, de l’appeler sa Colombe, son p’tit Lu… Fersen s’est donné entièrement ; la salle s’est offerte à lui en retour. La scène était en crue : on s’y noyait d’un rare bonheur.
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