Céline Caussimon, juste au bord
Les parisiens ont de la chance car la dame est rare, accaparée qu’elle est par le théâtre. Après une saison passée au théâtre, (La Locandiera, Chère Lili), et la formation de Côte à Côte, spectacle atypique avec la violoncelliste Cécile Girard, elle nous revient avec ses chansons insolentes, avec son univers toujours caustique et tendre juste porté par la rythmique et le swing de l’accordéon de Thierry Bretonnet. Juste pour un concert, un seul, ce lundi 10 janvier au Théâtre Clavel, à Paris 19e.
Céline Caussimon sera en tournée en Pays de Loire en février et mars, en Asie du Sud-Est en avril et au festival Chansons de Parole à Barjac.
Histoire de patienter, ce papier d’il y a quelques années, lors d’un passage Salle des Rancy, à Lyon…
Archive. « J’marche au bord / Juste au bord / Du rebord… » Elle est actrice, on ne le sait pas forcément. Elle est chanteuse, on le sait hélas peu. Elle conjugue les deux en un élégant et passionnant récital : ça finira, bon dieu, par se savoir. Elle, c’est Céline Caussimon, grande dame vraiment. Caussimon, si toutefois votre oreille est sensibilisée chanson, vous renvoie à un autre. Et quel autre ! Céline est sa fille, qui a le bon goût de ne point reprendre de titres au paternel héritage. Reste que le talent semble être dans les gènes. Pas gênant, bien au contraire. Céline est auteur qui cisèle des textes élégants et riches. Même si c’est pour vous chanter qu’elle est En-dessous du seuil de la pauvreté. À première vue, son répertoire, son vocabulaire même, sont configurés rive gauche, du moins dans l’idée qu’on peut s’en faire. Ça en a le classicisme dans l’allure, dans le phrasé. Comme une résurgence, une autre filiation encore. D’emblée, elle vous balance ce titre, J’marche au bord, qui pourrait être comme fiche signalétique, presque revendication : « C’est pas moi qui serai au milieu d’la photo / Plutôt sur le côté / Et je serai de dos / Calée à la limite, je périphère et j’évite. » Belle et pimpante entrée qui augure bien du reste : le reste est du même bois, du toujours passionnant. À la marge de la chanson (qui n’est pas son métier principal et qu’elle exerce entre deux rôles), Céline Caussimon ne semble pas avoir la même pression que nombre de ses collègues : ça libère. Même liberté dans des textes qui distillent un humour aigre-doux, un regard souvent désabusé mais toujours tendre, jamais larmoyant. Qu’elle chante Les Enfants des autres, la ménagère fatiguée hostile aux rangements inutiles, les choses qu’on oublie, futilités ou importances, elle le fait avec la même aisance, le même style racé. « Tu es mon crédit accordé / Dès que tu es à découvert / Tu es mon intérêt élevé / Tu es le sens de mes affaires / Trésor privé, trésor pudique » : on ne saurait mieux parler d’amour. Car ce qui surprend et séduit en Caussimon, qui nous la rend indispensable, c’est cette qualité d’écriture et son rendu, ces mots parfois luxueux, luxuriants même, qui, assemblés ainsi, sont rare évidence, beauté d’un verbe à la fois lettré et populaire. C’est merveille de voir telle artiste.
Céline doit avoir un goût certain pour les feuilletons populaires, ceux qui fleurissaient dans d’anciens journaux début de siècle. De Robert Desnos, elle reprend ainsi La Complainte de Fantômas. Et nous crée d’autres aventures, celles de Fred Ackenborn, comme un récit à épisodes qui fleure cette patine vieille. Reste que ce qui séduit plus encore en cette jeune femme est cette aisance conviviale qu’elle dispense, qui nous rend la grande classe disponible, infiniment proche, qu’on tutoierait presque si on osait. Céline nous quitte comme elle est venue, sur les mêmes notes, la même chanson. Non qu’elle en manque, mais pour boucler une boucle : « Calée à la limite, je périphère et j’évite / Je marche au bord… tout au bord du rebord. » Certes, Céline, mais ni au bord ni au rebord du talent. En plein dedans, dans le mille, en plein cœur.
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