Plagiats : de PPDA à Lavilliers !
Les doigts dans le pot de confiture et niant ce qui semble être l’évidence ! PPDA se voit confondu pour ce qui pourrait être un manifeste et somptueux plagiat. Pensez : sa biographie à paraître ce mois-ci sur Ernest Hemingway (Hemingway, jusqu’à l’excès aux éditions Arthaud) ne comporterait pas moins d’une centaine de pages tirées d’un autre bouquin sur Hemingway, de l’américain Peter Griffin, paru chez Gallimard en 1989. Griffin et PPDA, c’est pour le coup comme le vieil homme et l’amer…
Hier, tout le monde est tombé à bras raccourcis sur Poivre d’Arvor : les révélations de L’Express ont été reprises par tout le monde : il doit y avoir de vieux comptes à régler, jalousies cuites et recuites pour qu’autant de portes flingues de la presse y aillent de si bon cœur et pillent à bon compte l’article de L’Express sans qu’on puisse à leur tour les accuser de… plagiat.
Plagiats, emprunts, ressemblances caractérisées : sans me vanter, j’en possède tout un rayon.
C’est même l’objet d’un des chapitres du livre Les Vies liées de Lavilliers, une trentaine de pages où je tente un inventaire (vraisemblablement non exhaustif) des emprunts et autres ressemblances dont l’œuvre de Bernard Lavilliers est parsemée : joli catalogue littéraire soit-dit en passant, où on retrouve Baudelaire, Joyce Mansour, Colette Seghers, Rainer Maria Rilke, Victor Hugo, Léo Ferré, Claude Roy, René Laporte, Louis Brauquier, Jacques Prévert, André Hardellet, Stéphane Mallarmé, Jean-Roger Caussimon, Blaise Cendrars, Christian Bobin et Boris Vian.
Il y a trois ans, l’annonce de deux « emprunts » (en fait il y en avait cinq) découverts dans le nouveau disque de Nanar (Samedi soir à Beyrouth) avait mobilisé quelques confrères. Là, le livre est, on le sait, englué dans le silence, l’omerta. Les « ressemblances caractérisées » avec. En voici quelques-unes, histoire d’entrer en résonance avec l’actualité. Vous les retrouvez avec bien d’autres dans le livre, assortis il va de soi de commentaires bien venus, même si, parfois, ils se passent justement de commentaires…
D’abord un chanson extraite de l’album Solo, qu’on comparera à un texte d’Hardellet…
« La ville avait saigné ses coqs
Et j’avais payé mes ardoises
La nuit noire montait sur les docks
Baignant dans une paix sournoise
(…)
Dans tous les bars où je frappais
Réclamant une ombre en otage. »
Bernard Lavilliers, Mr H, 1991
« La ville avait saigné ses coqs
Chanteurs d’aube aux crêtes d’ardoise
Rien ne grinçait plus sur les docks
Baignant dans une paix sournoise
(…)
À chaque porte je frappais
Réclamant une ombre en chômage. »
André Hardellet, L’Interdit de séjour, 1960
Plus subtil peut-être, ce texte de Ferré revisité par son presque disciple, sur Samedi soir à Beyrouth :
« La rage crucifiée sur la rose des vents
Toi qui ris de la pluie et te fous de l’amour
Le fauve d’Amazonie fait patte de velours
Calme plat, invisible, persécuteur du temps »
Bernard Lavilliers, Rafales, 2008
« Vous qui êtes en croix sur la rose des vents
Vous qui tendez les bras au larron du printemps
Vous dont les fauves gris font patte de velours
Vous qui faites la pluie comme on ferait l’amour »
Léo Ferré, Le Vent, 1962
Enfin, Charles Baudelaire, auteur de chevet de Lavilliers, sur l’album If…
« Quand je te vois passer, ma belle indépendante
Au son de la musique qui se joue des bas-fonds,
Suspendant ta démarche voluptueuse et lente,
Pour promener l’ennui de ton regard profond
(…)
Je me dis qu’il suffit que tu sois l’apparence
Pour faire monter en moi quelques grandes marées »
Bernard Lavilliers, Femme-objet, 1994
« Quand je te vois passer, ô ma chère indolente
Au chant des instruments qui se brise au plafond
Suspendant ton allure harmonieuse et lente,
En promenant l’ennui de ton regard profond
(…)
Mais ne suffit-il pas que tu sois l’apparence,
Pour réjouir un cœur qui fuit la vérité ? »
Baudelaire, L’Amour du mensonge
La chanson de Bilitis que je viens de citer s’appelle « Le passé qui survit » :
« Je laisserai le lit comme elle l’a laissé, défait et rompu, les draps mêlés, afin que la forme de son corps reste empreinte à coté du mien ».
Bernard a écrit, dans « Attention, fragile » :
« Je laisserai le lit comme elle l’a laissé.
Défait et rompu, les draps emmêlés.
Afin que l’empreinte de son corps,
Reste gravée dans le décor ».
Réponse : J’ignorais cet emprunt. Un de plus dans l’escarcelle ! Merci, Henri, de l’avoir porté à la connaissance de ce site. MK
Bonjour. Il y a un auteur qui semble aussi avoir « inspiré » Bernard Lavilliers : Pierre Louys, auteur des années 1900, qui entre autre, a écrit un pastiche de poèmes « grecs saphiques » intitulé « Les chansons de Bilitis », qui était elle-même une invention de Louys. Il y a un poème qui dit (de mémoire !) « je laisserai le lit comme elle l’a laissé, afin que l’empreinte de son corps… etc ». J’ai entendu une chanson de Lavilliers qui ressemble furieusement à ce texte… Cette chanson se trouve sur « Attention fragile ».
Je reste muette et quelque peu déçue, les preuves de plagiat étant évidentes mais je pardonne à Bernard Lavilliers ! Tant de plagiaires dans tous les domaines, se font un fric fou sur le dos des créateurs et créatifs au sein du commun des mortels : écrits mais aussi, mode vestimentaire, photo, sculpture, etc. Le zéro plagiat n’existe pas et tant de voleurs s’excusent en évoquant la coïncidence !!! Je pense de plus, que si la législation française mais également les règlements internes de la Sacem étaient plus simples, plus sévères et plus précis, le pourcentage de plagiats serait diminué de bien plus que la moitié ! Malheureusement, tous ces gens-là se font un fric fou sur les artistes et ces derniers sont peut-être les premières victimes !
Réponse : Il n’y a aucun contrôle a priori des œuvres à la Sacem, société qui se met en mouvement seulement si plainte est déposée. Vous pouvez découvrir bien d’autres « ressemblances caractérisées » (c’est le vocable exact de la Sacem pour désigner emprunts ou plagiats) de Bernard Lavilliers sur le livre Les Vies liées de Lavilliers aux éditions Flammarion. MK
Comme quoi il faut lire peu pour écrire vrai.
Néanmoins, je préfère les réminiscences de Lavilliers aux niaiseries, fadaises, lieux communs de la majorité de ses collègues.
Réponse : Dit comme ça, c’est difficile de vous donner tord… MK
Malgré la gêne certaine qu’on peut éprouver a la lecture de ces similarités, il n’empêche que Bernard Lavilliers a écrit de très bonnes et belles chansons. Je préfère, moi aussi, entendre un « emprunt » de deux lignes dans un texte intelligent sur une bonne musique que la soupe sans saveur et uniquement créée pour faire de la tune et de l’audimat comme celle que servent généralement les médias…
La frontière est quand même parfois ténue entre l’emprunt-plagiat et l’hommage-clin d’oeil.
La ressemblance évoquée dans votre livre entre « Melody Tempo Harmonie » et « Sammy le pianiste noir » de Caussimon m’a toujours paru être un hommage plus qu’un vol. Un peu comme quand Carlos commence son « Bougalou du Loup-garou » par « C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit »…
Je n’ai pas le vinyle sous les yeux, mais il me semble que Lavilliers crédite bien Baudelaire pour la magnifique Promesses d’un visage.
Un gros merci au découvreur du plagiat d’Attention fragile, c’est stupéfiant, la malhonnêteté!
Il aurait suffi d’une mention toute simple en fin de texte… Inspiré de…
Au dos du CD « IF », Lavilliers crédite bien Baudelaire pour la magnifique Promesses d’un visage.
Donc ne pas confondre Bernard et PPDA !
Réponse : Effectivement, Bernard Lavilliers a crédité Baudelaire pour ce texte (c’est ce que je dis page 310 du livre) mais ne l’a pas crédité pour cet emprunt de L’Amour du mensonge devenu, après transformation, Femme objet. Si, parfois, il a reconnu et crédité l’artiste qu’il reprenait (Kipling, Couté…), plus souvent encore il s’est abstenu de citer ses sources quand il a « écrit » des chansons à partir de textes-souches appartenant à autrui. MK
Sur l’article du Blog vous avez marqué « Bernard Lavilliers, Promesses d’un visage, 1988 », sous la photo de Baudelaire alors qu’il s’agit de « Femme-Objet, 1994».
Sinon, Bravo, vos articles sont très précis.
Réponse : Oups, vous avez raison, je me suis gouré (voilà ce que c’est que de taper trop vite…). Mes excuses, Philippe ! (et merci !) MK