Les Vies liées… Toutenchansons
Toutes proportions gardées, ça doit être comme quand Howard Carter mit la main, en 1922, sur la sépulture de Toutankhamon. Ou quand ces quatre gamins, en 1940, découvrirent l’entrée d’une cavité dans le bois de Lascaux…
J’ai longtemps travaillé sur un artiste, dont l’histoire, presque la légende, trouve ses origines à proximité de chez moi, à Saint-Étienne. C’est là où, parallèlement à un boulot forcément alimentaire dans une usine d’armement, il devenu chanteur et offrit au public de proximité, dans des amicales laïques souvent, ses primes chansons. Toutes tombées depuis dans un total oubli.
La légende de cet artiste renommé l’a porté loin de nos frontières, en des aventures colorées, bigarrées d’autres langues, secouées de rythmes nouveaux. Elle lui a donné mille aventures, toutes plus trépidantes les unes que les autres. Et a oublié quelque peu ce passé-là, trop sage sans doute, banal à mourir, dans cette ville dont la neige était charbon. Le chanteur en grand devenir a laissé sur place tout son passé, même ses premières chansons, alors mortes au chant d’honneur.
Dans la perspective de son grand départ pour la Capitale, dans celle aussi d’un concours de la chanson où il fallait se présenter avec les partitions de ses chansons, ce jeune homme avait demandé à un collègue de son père, musicien certes amateur mais sociétaire de la Sacem, de lui transcrire la musique de ses chansons. Pour ce faire, Francis L. sortit son gros magnétophone à bande. Et Bernard O. chanta un soir une vingtaine de titres, en en reprenant même certains une deuxième fois.
Sacré Graal pour le journaliste que je suis, j’ai retrouvé cet enregistrement. Même si tout s’efface, la bande recèle toujours la trace de ces chansons non inédites mais oubliées. Et jamais gravées dans la cire. Ça fait drôle de retrouver, presque intact, ce témoignage on ne peut plus vivant, quarante ans après, cette voix alors incertaine, hésitant entre Brel et Ferrat, mais forte et d’aplomb. En un répertoire où l’ouvrier (L’Homme en bleu) rêve à son tour d’une Ève sans être Adam, où l’on jase sur le prolétariat à l’issue de La Messe de dix heures, où on chante tant l’armée qui fait des croix et les réfractaires, les flics qu’on aime pas, ce Whisky-Club où on s’en va jouer le samedi soir une autre partition de l’existence…
Le p’tit prolo tous les sam’dis
Va jouer gros au Whisky
S’foutre une grosse tête à bon marché
Avec des disques de qualité (…)
Le chanteur en devenir s’est paré d’un pseudonyme, genre « aristo de la rue » comme il le dit, bétonné une légende, forgé une œuvre de premier plan. Il est devenu un de nos plus grands artistes, au cursus d’exception, au succès toujours grandissant. Le Panthéon ne lui est plus très loin. Ça fait tout de même drôle de mettre la main et l’oreille dans un tel passé. Un passé tu. Et tué.
Il est probable que nous reparlions prochainement de cet artiste dans les (virtuelles) pages de NosEnchanteurs…
Bernard Lavilliers, bien sûr…