Biblio : le Ferrat de Pantchenko
On a tous son propre Ferrat, au sens où nous avons tous une histoire, un souvenir, une émotion qui nous relie à Jean Ferrat, bien souvent à l’une ou l’autre de ses chansons.
Mon plus lointain souvenir à moi, le plus fort aussi, c’est ma maman à moi, qui aimait plus que tout entendre La Montagne parce que ça parlait d’un HLM : « il faut savoir ce que l’on aime / et rentrer dans son HLM… » Comprenez que c’était son rêve, pour quitter le taudis pourri de la rue des fossés où elle et ses six gosses vivaient entassés, où les jours d’orage elle installait de ci de là casseroles et seaux pour recueillir cette pluie qui tombait chez nous, sur nous, sur la table comme dans nos lits. Un jour, Colette, ma sœur aînée, est venu nous chercher à l’école – je devais être en grande section maternelle je crois – et, étrangement, nous n’avons pas pris le même chemin pour rentrer à la maison. La route, forcément à pied, me semblait longue. Arrivés, nous sommes entrés dans ce grand et bel immeuble, cet appartement tout nu, qui serait pour longtemps notre maison, place du 8-mai 1945 à Bar-sur-Seine. L’eau y coulait chaude dans le lavabo, les vitres sentaient encore le mastic, les plinthes la peinture. Tout était à meubler et la vie à ré-inventer. C’était notre HLM, comme celui de la chanson. Maman n’a jamais voulu entendre, comprendre les propos de Ferrat, elle ne pouvait pas : elle l’avait tant rêvée « son » HLM, tant économisé, sous après sou, pour la caution ! Nous y étions. Et des années durant, nous avons mangé, un dimanche sur deux, du poulet aux hormones… C’est dire quand La Montagne passait à la radio, respectueux silence, comme un hymne à notre nouvelle vie !
Il y a plus de cinq ans, sur son lit de mort, j’ai chanté à Maman cette chanson-là. C’était la sienne, même pas un malentendu. Qui plus est Ferrat était le chanteur de ces petites gens, de cette môme de Saint-Ouen, de tous les sacrés Félicien… Et de ma maman. De tous ces gens qui en ont eu, comme vous, comme moi, le cœur gros quand Ferrat, à son tour, s’en est allé.
Daniel Pantchenko doit avoir, lui aussi, des tas d’histoires, passées et récentes, le reliant à Ferrat. Mon collègue de Chorus, qu’on connaît pour sa rigueur, pour son soucis de l’extrême précision, nous fait revivre le chanteur, courir sa vie sur près de six cents pages, de ses premières scènes, notamment celle en 1954 en levée de rideau d’Aznavour à L’Échelle de Jacob, jusqu’à cette fin d’hiver 2010, à Antraigues-sur-Volanne. Une somme, dit-on. C’en est une, livre qui longtemps fera référence. C’est la vie d’un homme, couchée sur papier, nimbée de respect. C’est son œuvre aussi, disséquée, analysée. Un livre utile, pour comprendre plus encore l’importance du bonhomme et ce qu’il nous laisse.
Daniel Pantchenko, Jean Ferrat « Je ne chante pas pour passer le temps », 570 pages, 2010 Fayard.
Bonjour,
Très touché par ton article…
J’ai aussi vécu, à 8 ans, le passage d’un 2 pièces sans confort (et partagé à 5) à un F4 dans un HLM neuf !
Merci pour tes articles et pour ton engagement pour la chanson et ceux qui la font vivre.
Cordialement
Gilles