Aubret de ma blonde…
Nous parlions ces jours-ci, à propos du « Viel chante Brel », de Stéphane Roux aussi, de la difficulté de reprendre certains artistes qui nous ont tellement marqué. Voici une chanteuse dont la carrière n’est que reprises… J’en disais en chapeau de ce papier paru il y a presque six ans : « Brel et Ferrat au menu d’un récital malmené par une orchestration vieillotte. Reste qu’Isabelle Aubret est belle interprète… »
Archive. Elle est à peine en scène qu’on sait déjà, par intuition autant que par persuasion, que ce sera de la bien belle ouvrage. Même si, d’infinie tendresse à saines colères, ce récital sera tout sauf surprenant, n’explorant, à quelques exceptions près, que Jean Ferrat (Excusez-moi, Deux enfants au soleil, La Montagne, C’est beau la vie…) et Jacques Brel. Surtout Grand Jacques d’ailleurs (Amsterdam, Le Plat pays, La Quête, Les Singes…), Isabelle Aubret se remémorant, entre deux chansons, les souvenirs émus de tournées communes entre elle et le créateur de Ne me quitte pas. Émus, car les larmes de la dame sont tout sauf de crocodile : le cœur à vif, sans autre enjeu que le simple partage, la restitution. C’est, à ce titre, exemplaire. Le répertoire est sans surprise, sans renouvellement non plus : que des textes universels, ou peu s’en faut. Dont beaucoup portent (trop ?) en nos oreilles la matrice d’origine, son timbre, sa façon d’amener les mots. Comment ne pas entendre, en surimpression, la voix du sage d’Antraigues tonnant de son exil ? Comment ne pas entendre ces wagons qui s’entrechoquent en direction de Dachau ? «Il y a quarante ans que je chante Nuit et Brouillard, cette chanson contre l’oubli. Aujourd’hui, comme vous, j’ai peur» nous confie-t-elle alors.
Comment ne pas ouïr avec précision, avec minutie, le tic-tac de « La pendule d’argent / Qui ronronne au salon / Qui dit oui qui dit non / Et puis qui nous attend » des Vieux de Brel ? Aubret nous restitue tout, en une sensibilité identique. Mais rien de plus. Elle transmet.
Estimable ? A l’évidence oui. Convaincant ? On sera nettement plus réservés. Car la qualité de cette interprétation trop fidèle est ruinée par un accompagnement minimum, limite indigent, vieillot et pauvre (sur le Paris-Canaille de Ferré, ça fait poussive musique de manège…), d’un seul orgue électrique, qui cumule les mandats de presque tout un orchestre suggéré. C’est grand tort ! Il n’y a qu’un moment, un seul, quand l’orgue sait être raisonnable et ne se faire que piano, sur Écoutez, vous n’m’écoutez pas, que vous savez ce qu’Aubret pourrait donner avec un digne mais sobre accompagnement, avec des arrangements moins rachitiques, moins poussiéreux.
Reste qu’on ne dédaignera pas le fait d’avoir vu Isabelle Aubret en scène, cette statue de La Fanette érigée en presque statut de la chanson ; une Aubret qui, dans l’humble et le fragile, entretient avec dignité un pan entier de la chanson : le sien.
Le site d’Isabelle Aubret, c’est là.
La qualité d’une chanteuse comme isabelle, on aimerais bien la retrouver chez des interpètes qui eux, ont besoin d’une artillerie lourde derrière eux pour se défendre. C’est comme un bon produit dans l’assiette, un peu de sel, d’huile d’olive et c’est tout. Etre musicien accompaganteur de chanteur, c’est pas en mettre plein la vue, plain les oreilles, c’est laisser respirer celle ou celui qui est devant la scène. C’est tout un métier.
Dans ce monde où les critiques sont binaires, ça fait plaisir de lire quelque chose de nuancé et d’intelligent.