Le grand bleu de Tri Yann
Tri Yann, 12 juin 2010, Zénith de Saint-Étienne,
D’abord – et ce fut réussite – une chorale de bien quarante chanteurs (en fait trois chœurs assemblés pour l’occasion), accompagnés du Bagad Avel Mor de Roanne. Mise en bouche cohérente, que du Tri Yann : La Découverte ou l’ignorance, La Ville que j’ai tant aimé, Chanson à boire, Les Filles des forges… Tonalité certes haut perchée mais beau travail vocal. Et le bagad qui s’étoffe devant nous : trente musiciens en scène, des airs d’Irlande et le dernier souffle de Bobby Sands, puissance et talent. Cette première partie, cet avant goût est déjà délice. Les Jean de Nantes qui suivent seront cerises sur le gâteau…
« Dessous le ville de Nantes / L’y a t’un océan caché. » Sous les pavés la plage, sous Nantes le grand bleu… Huit personnages en ligne aux étonnantes excentricités vestimentaires, incroyables et merveilleux venus d’on ne sait où, des profondeurs marines assurément, folklore poulpeux et gluant, comme médusé. C’est que le dernier opus de nos bretons célèbre des légendes de dessous la ligne de flottaison, des bas-fonds, des Abysses abyssales. L’essentiel du concert sera fait de ces titres-là, tous amenés par un Jean-Louis Jossic bavard, conteur et bonimenteur hors pair. Sirènes, néréides, épaves… tout ce que l’imaginaire marin a enfanté est là, en chansons, à la croisée de cultures (les musiques du monde sont à l’évidence solubles dans celles bretonnantes) et de traditions, vraies ou suggérées. Ça et parmi les plus grands succès du groupe : Kan ar kann, Si mort à mors, La Jument de Michao… C’est du Tri Yann, entre grand spectacle haut en couleurs et veillée entre amis, fussent-ils des milliers. Un Tri Yann diablement efficace qui, plus que jamais, met en exergue le trio fondateur que sont ces trois Jean de Nantes : Jean, Jean-Louis et Jean-Paul, poivres et celtes, inséparables ou presque, animant le concert, occupant le devant de la scène, tenant le crachoir avec grand talent. Eux et, pour sûr, leurs compagnons musiciens, hymen heureux d’instruments trad’ et d’autres plus modernes, tous impeccables dans leur partie, leur partition. Paradoxalement, ce n’est pas tant les aventures sous-marines de Tri Yann qu’on retiendra, ni ce collier de tubes, magnifique car intemporelle compilation de beaux morceaux. Mais cette reprise (malheureusement peu synchrone) tirée du lointain des Jean de Nantes : Le Soleil est noir, né des flancs de l’Amoco-Cadiz, justifié par la suite par toutes les autres et sinistres marées noires. Qu’on peut désormais chanter, belle aubaine vraiment, dans les insalubres et huileux bayous d’une Louisiane souillée comme jamais, mortellement blessée. Noire incantation, comme tirée du chant mystérieux des anciens, comme si un Vaisseau de pierre crevait, libérant toute l’humanité qui nous a précédé, revenue pour condamner cette insulte majeure : « Mil malloz ru, chant de l’épée / Mille noires statues, noirs policiers / Mille poings tendus, dix poings brisés / Mille printemps dus pour mille années / Cent mille hommes en colère / Mille hommes sans la mer /Sang, larmes et fer en pluie. » Il y a dans ce chant tout Tri Yann, tradition et absolue modernité, total engagement. Car loin d’un aimable divertissement, d’une pure fantaisie, nos bretons de Nantes portent par leur chant, au mitan de leurs chants, une posture politique affirmée, résolue. C’est un grand, un très grand groupe.
Le site de Tri Yann.
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