Gotan project : mission tango
Sortie ces jours-ci chez Barclay de Tango 3.0, le nouveau cédé de Gotan project, musique curieuse, un rien fascinante, envoûtante. Un album qui se veut « partir d’ailleurs pour en revenir au tango », traçant de nouvelles pistes, imaginant d’autres itinéraires possibles qui, tous, cheminent au final vers le tango. A découvrir… Du disque à la scène, j’avais été un peu moins convaincu par leur prestation, il y a quatre ans, dans la foulée du précédent opus, Lunàtico. C’était lors du festival Les Oreilles en pointes. Retour…
Archive. Tout est blanc, le mobilier, les tentures. Ils auraient eu le temps de repeindre la salle qu’ils l’auraient fait, sans doute. Hors de rutilantes cravates rouges, eux-mêmes ne sont vêtus qu’ainsi, blanc des pompes aux costards et tenues de soirées. Le concert débute et ils sont cinq en scène : le bandonéiste, en bel hidalgo aux cheveux gominés, droit comme un piquet, la chanteuse, la guitariste et, derrière, en hauteur, les deux préposés aux triturage des sons, d.j. à la tambouille tango du Gotan. D’autres viendront se surajouter. Un pianiste d’abord, puis la compagnie d’autres dames : une violoncelliste et trois violonistes. Bel équipage pour aventure strictement conceptuelle. Le déroulé du spectacle est des plus précis que rien ne vient contrarier. Les visages sont censés ne laisser passer aucune émotion, impassibles. Et c’est vrai que cette prestation, si ce n’est le timbre de la chanteuse, est sans émotion, mécanique comme un procédé de reproduction. C’est bien, très bien même, mais ni plus ni moins qu’à l’écoute du disque, image fixe en plus. Ne défilent en fait que des images projetées. Des chevaux blancs. Une danseuse en sous-vêtements, bas résilles et porte jarretelles. Blancs. Une autre qui jongle avec le feu… La bande-son a son importance qui importe en intro des bruits captés ici et là. Là, c’est l’intérieur d’un bistrot, avec les verres qui s’entrechoquent. Bribes de vie sur une scène où elle est étrangement et volontairement absente. Tient, sur l’écran, deux rappeurs autour desquels s’organise un titre. Pourquoi donc ne sont-ils pas sur scène, en live ? Ils y impulseraient la vie… Mais on n’assiste pas à un concert, à un spectacle au sens commun du terme. C’est et reste un concept, une expérience, la matérialisation d’une niche commerciale qui triomphe en radios. La distance y est érigée en principe : ça se défend. On dira que tout est intériorisé : ça se défend tout autant. Ceux qui s’attendent à un spectacle haut en couleurs en sont pour leur frais, c’est que du blanc (en interview, ils sont tous vêtus de noir !). Le tango est un truc physique, charnel, au sens animal. C’est une pensée triste qui se danse. Fêlure, débauche, amour, jeu et mort, c’est une entreprise de séduction, l’approche et la conclusion, un combat qui n’a d’égal que celui de la tauromachie avec, au bout de la nuit, les deux oreilles et la queue. Là, Gotan en fait longue bande-son mixée d’électro, digeste digest mais guère plus, qui prend systématiquement le contrepied de tout. Les noires tenues deviennent blanches, vierges comme avant l’hymen, le tango devient gotan, épuré de sa toute puissance, vidé de sa substance, ravalé au rang de simple produit de stricte consommation. Ça doit être pain bénit pour les boîtes de nuit : c’est d’ailleurs sans doute là que gotan rejoint le tango, au terme d’une nuit à faire le beau, comme au terme logique d’un combat d’arène.
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