Paris Bruel-t-il ?
Drucker recevait Patrick Bruel hier. J’aime plutôt bien Bruel, l’acteur de La Maison assassinée et de Force majeure surtout. Le chanteur m’intéresse moins, surtout quand il se la joue Paris populeux et populo d’avant-guerre, de l’entre-deux. Souvenir de scène, en juin 2003, au Palais des spectacles de Saint-Étienne. Ce papier pour Le Progrès m’avait valu quelques lettres indignées, guère plus.
Archive. Colonne Morris, fontaine des Innocents, signalétique du métropolitain… Autant d’indices, Comme de bien entendu, de la ville capitale. C’est Paris de l’entre-deux-guerres, qui guinguette à souhait et, anachronisme premier, mêle piano à bretelles et prémices du jazz. C’est Bruel en costume trois pièces (mais comment faisait-il dans ce sauna d’hier ?), sourire franc du gendre idéal, qui s’en vient nous la jouer comme avant quarante. D’emblée, c’est Mon amant de Saint-Jean et déjà quatre mille personnes qui valsent en surplace. Ici, c’est majoritairement le public de La Chance aux chansons, Sevran et pas sevrés. Qu’on se rassure, y’a pas mal de jeunes aussi, en cœur de salle. De toutes façons, tous connaissent et reprennent en chœur les titres qui se succèdent. L’artiste est acteur qui scénarise son tour de chant : Pierrot et Marinette seront fils conducteurs, entre amours et désamours. Ça tire tout naturellement les chansons. C’est chromo, chrono…logique aussi. Notre poulbot croise les icônes d’alors, faisant copain-copain avec Édith, Trenet, Damia, Gabin et Duvivier, La Belle équipe ! Comprenez que ça légitime. Des figurants se pressent pour figurer balloches et terrasses de café, pour donner autre vie aux chansons, souffle parfois nécessaire. A l’orgue de Barbarie, Patrick fait un carton. Puis Bruel s’encanaille : « Ah, si vous connaissiez ma poule ! » C’est tout populo-démago, ça fonctionne à l’affect. Ça marche. Mais c’est creux, c’est abyssal ! Il chante Padam et, même si le public piaffe, ça fait petit oisillon, pas Piaf. C’est sans tripe aucune. Ni sur cette chanson ni sur le reste : Bruel n’a rien d’un gouailleur ni d’un crooner, même s’il tente de s’en donner les allures. Vous qui passez sans me voir est charme fou chez Sablon : là, on a envie de passer sans l’entendre. Car c’est quand même consternant, avec un tel répertoire (Ménilmontant, Paris je t’aime, Ramona, Quand on s’promène au bord de l’eau…), de s’en tenir à une interprétation si fade, qui jamais ne pénètre l’âme des auteurs. Serait-ce excès de modestie, serait-ce totale abnégation ?
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Interprétation effectivement fade, impropre à raviver les belles années comme il se doit. Et puisqu’on évoque dans le billet suivant la sale manie des pipoles et acteurs qui se con-vertissent à la chanson, je citerai ici la belle exception que constitue selon moi l’album « Démons et Merveilles » de Lambert Wilson : de belles interprétations et un vrai hommage à la fabuleuse clique d’alors (Prévert, Queneau, Mouloudji, Delerue, Frehel et j’en passe); et des arrangements par Bruno Fontaine.
Salutations