Claudine Lebègue : citer la cité
Claudine Lebègue, 26 mars 2010, A thou bout d’chant à Lyon.
« Eh, t’as vu comme elle est belle ma cité ! » Trafic d’images dans la salle, deal de souvenirs avant l’entrée en scène de l’artiste. Lebègue refourgue ses photos d’enfance, lieux de vie : cabanes de jardins, rectangles de béton percés de fenêtres toutes pareilles, bancs publics, parking, bacs à sable et graffitis. Ma pieuse icône à moi est un séchoir collectif municipal : des tas de fils qui en pincent pour le linge à venir, que boudent les moineaux… Villeneuve-la-Garenne, ville neuve, parallélépipèdes tous pareils, au milieu de rien des cages à lapins. De Garenne peut-être… Une cité toute neuve, sans l’once d’un passé, truc sans mémoire, sans cimetière, pas sans avenir… Le papa est photographe ; Claudine naît comme son frère, comme sa sœur, dans le studio de prise de vues, entre fixateur et révélateur, entre Asa et Din. Seul un autre frère naîtra à la maternité : « Tant qu’on a cru longtemps qu’il était malade. » On habite la cité, sa cité, nécessité. Bribes de vies, infimes détails surgis d’il y a longtemps, comme une émulsion au grain fin, sensible. La mobylette 102 Peugeot pour un remake de La Chevauchée fantastique, les noms de rues, celui, imagé, qu’on donne aux cités (La Banane, Le Camembert…), les bruits et engueulades que toute une cité partage, la sirène, les jeunes qui parfois déconnent, les puces en pied d’immeuble ou pas loin, les joies et les coups durs dans cette cité qui s’invente au quotidien, les voisins qui forcément font partie de notre vie. Claudine Lebègue nous fait chromos, clichés débordant de vie. Où toute une cité revit, bonheur de logements salubres, gouaille et cris même si « au dernier étage / t’as que des miettes / des ragots. » De Lebègue suinte par nature, en sa gouaille, en son énergie, un enthousiasme à la dimension dramatique. Il y a en elle du Jeanson, du Prévert, du Carné. Aujourd’hui avec un peu du Corbusier, de cette utopie sociale coulée dans le béton armé. Il y a ce peuple ici aggloméré, reclus, ces rencontres de couloir, de palier, ces langues qu’on chope à coups de baisers. De la tendresse, des sommes de rien qui font tout. Là, Lebègue est comme amazone, « avec tes seins comme une armure / entre Saint-Denis et Saint-Ouen. » Ceinte d’un accordéon chromatique, cernée de bidons depuis longtemps vides de leur pétrole mais bourrés d’idées, armée de fougue et d’émotion, de quelques samples, la lyonnaise revisite l’Histoire par sa petite fenêtre, fait confession publique. Admirable témoignage, beau spectacle chanté. Qu’on quitte comme on achève un bouquin, mi autobiographie mi ethnographie… Ça fait du bien d’envisager la cité par cette focale-là…
On lira aussi l’interview de Claudine Lebègue sur Thou Chant n°2 ainsi que le papier sur son précédent spectacle ; le site de Claudine Lebègue, c’est ici.
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