Les ailes du désir
Voici revenue l’époque des festivités sur catalogues, ceux des programmations culturelles des communes alentours. On fait son choix, son programme, noircissant par anticipation et avec fébrilité son agenda.Tiens, pas loin de chez moi, la diva, la Juliette nous revient. Souvenirs, souvenirs… La première fois que je l’ai vu, c’était en février 1997 – une paille – au cinéma-théâtre Le Majestic de Firminy. J’en avais tiré ce papier, repris depuis dans Mes nuits de concerts sont plus belles que vos soirées télé.
Les ailes du désir
Avant de devenir ange, Juliette s’est incarnée en des tas de femmes. Même si elle est d’abord et avant tout l’incarnation-même du plus pur talent
Sans intro musicale elle déboule sur scène, bustier agressif en avant, seins dressés comme des obus. Elle donne la règle du jeu et prend commande de sa mission : se réincarner moult fois pour enfin, au terme de son récital, devenir ange. Et d’égrener d’emblée soixante figures féminines, soixante vies exceptionnelles pour en conclure qu’il ne lui déplairait pas de se retrouver, en bout de course, dans la peau de Juliette Nourredine.
Là voilà donc, notre Juliette, éternelle nominée aux Victoires de la Musique, catégorie espoirs. Laissons ces espoirs aux piètres programmateurs télé et consommons toute entière cette déesse, cette diva, ce futur ange rédempteur qui nous console tant de la soupe FM.
Juliette devient pocharde ou patronne d’un bar à putes (comment écrit-on putes au masculin, d’ailleurs ?) ; elle nous sera petite fille au piano (vrai teigne derrière ses affreux sol-fa-miré-do). Elle sera Géante pour se livrer, allongée sur la scène, à nos désirs, aux siens : «Je suis ouverte à tous / Il suffit que l’on use de mon ventre / Comme d’un luxurieux toboggan».
Elle fera la revue de détails d’une armée au pouvoir féminin qui inspecte les dimensions des «nouveaux recrus» ; elle sera tueuse et sera abbesse ; elle sera aussi modèle, dans un atelier où «Il n’y avait du chevalet au pieu / Qu’un pas à faire / Et quoi faire de mieux ?», modèle tragique, délaissée un peintre pointilliste qui vend en dessous de sa valeur son tas de petits points de couleur, pour se retrouver enfin aux cimaises d’un grand musée de Londres.
Pathétique, comique, vulgaire parfois, athée toujours, brusque, insolente, tendre, très tendre Juliette qui nous a offert deux heures pleines d’un spectacle maîtrisé, qui alterne toutes les chansons de Rimes féminines par de longs apartés, des parlotes interminables parfois, qui lui donnent l’occasion de nous dire quelques bonnes vérités. Son public ? Elle l’aime et le cartonne, affectueusement, par Télérama interposé, magazine censé être la bible de son auditoire.
Servie par un piano, des orgues et toute une collection de percussions, par quelques intermittents «aux métiers de merde, tel souleveur de piano», Juliette rend bien l’amour qu’on lui prête, même si elle nous secoue. Ses chansons (textes de Pierre Philippe) sont de purs joyaux et Juliette est un écrin, de forte taille certes, aussi précieux que ces rimes particulières qui resteront longtemps en nous.
«Dans un corps vide entre mon âme / Tout-à-coup être une autre femme…». Juliette s’est parée de la vie exaltante de centaines de femmes, célèbres ou non. Elle a gagné le paradis où elle sera ange avec de petits angelots qui graviteront autour.
De larges ailes sont venues la récompenser sur scène, ce petit coin de paradis d’un soir à Firminy. L’athée Juliette n’avait pas pour mission de nous faire croire en quelque chose, fut-il dieu.
Mon colon, tu es le prosélyte que je préfère !