Viricelles 2023. Dautin, Danzin(s) : le gang des chanteurs à casquette [1/2]

Yvan Dautin (photos Nadine Le Roscouet)

D’abord une chanson de Martial Robillard, longues bacchantes blanches et casquette, une des chevilles ouvrières de ce festival. Puis Dautin, casquette de rigueur. Et les Danzin, Pierre-Paul et le frérot Alex, tout deux pareillement casquettés, à tel point qu’ont ne sait rien de leur capillarité… Il faudrait écrire un jour à propos de ces chanteurs à casquette, ceux-ci et les Renaud, Jamait, Sers et Cie, explorer tant leurs gènes que leur sans-gêne.

Ce n’est pas tant la nuit qui vient de tomber, ni les lumières de la salle qui désormais sont éteintes. Mais il fait sombre dans les mots, noir dans les propos. Si la chanson sait se faire gaie comme un pinson, elle peut tout autant obscurcir ses vers dès qu’elle aborde notre monde. Cette troisième édition du festival de Viricelles en fut témoin. Faut dire qu’accueillir en une même soirée Dautin et les Danzin et le lendemain Vissotsky (pcc Martin et Vander) ce n’est pas précisément faire dans l’éclaircie.

Si ce n’est un cœur de récital se distrayant dans l’agréable folie et le non-sens, et un final où il régala des admirateurs de toujours par son tube-dentifrice d’antan, La Méduse (celle de la plage de Saint-Malo) – qui du reste ne méduse plus que les non-avertis – Yvan Dautin a fait thématique, terrible mais cohérente, de ses chansons sociales. Que vous recevez comme le travail d’un reporter sur le front de la misère : fidèle, empathique et désespéré. Avec pour personnage central cet huissier qui, tel nos dirigeants, ne saisit pas tout… Et bien d’autres, faune interlope des bas-fonds, des recalés du bonheur, des qui n’existent pas aux yeux du roi. Comme cette Mal mariée, cet Épicier clope au bec, cette prostituée, cette sans-papiers non déclarée (« On ne déclare pas la misère / Et c’est toujours ça de gagné »), cette Dame Cendrillon qui dort dans des cartons, ce Monsieur William qui manque de tenue et s’égare dans la treizième avenue… Et quand Dautin prend de la hauteur, c’est pour nous dire le massacre des abeilles qui prélude à ce qu’on devine : « Plus d’abeilles plus de miel / Et notre terre est morte ». Récital pertinent, clairvoyant, mais sans issue, si ce n’est qu’il pose d’intéressantes questions. Ainsi « Pourquoi faut-il encore / Travailler pour la gloire / Travailler à sa perte / Sans en tirer profit ? » que les manifestants de ce premier mai peuvent sans mal poser.

Que dire d’Yvan Dautin en scène ? Que ses sourires et grimaces pardonnent la tonalité de ses propos ; qu’il marche, marche, mais, insoumis qu’il est (il a de qui tenir), pas dans le même sens que ceux qui en ont fait leur ridicule étendard ; enfin, que son récital est appuyé comme toujours par le talentueux Angelo Zurzolo, fidèle complice de scène et compositeur de la plupart des chansons.

Son nouvel et superbe album Les Tours d’Ivoire (lire ici la chronique de Catherine Laugier) tout juste sorti, Pierre-Paul Danzin vient nous le faire vivre plus que le défendre. Lui aussi chante ce monde immonde, du sépia de son enfance au sombre d’aujourd’hui. Pas résignés pour autant, ses vers sont fines lames pour pourfendre les injustices, guerroyer contre les préjugés, les endoctrinements : « Les hommes seront libres / Quand les athées seront pratiquants ». C’est une chanson populaire, aux belles lettres de noblesse, aux fines et probantes mélodies, une qui a du corps et du caractère, de la sensibilité. On ne se distrait pas forcément de la chanson des Danzin mais on s’en délecte tant elle charrie amour et humanité, tant elle parle de nous et pansent nos plaies. Qu’elle panse aussi celles de Christophe, le boxeur en gilet jaune, dont il relate l’héroïque et digne combat. Danzin ne chante vraiment que la dignité, et ce qui nous anime :  « Y a sûrement de l’espoir / Au fin fond du voyage… » C’est un récital d’une poésie nourrie de notre quotidien : les mots y sont à fleur de peau, à fleur de rêves aussi.

Il y a une force peu commune chez Pierre-Paul, la réminiscence d’un Leprest, d’un HK et d’un Graeme Allwright, une poésie naturelle chauffée dans la braise et le regard malicieux et bravache d’un Gavroche sur les barricades. Avec la complicité sans faille de son frangin, talentueux guitariste et choriste Alexandre, l’idéal duo ! Et, en guest-star de ce récital et sur un titre, Au temps des feux de camp, Lucie Beauregard la bien-nommée, déjà présente dans les sillons du nouvel opus.

Même si « C’est fatigué de l’espérer / Ce nouveau monde si humain », ce concert vous regonfle comme on le ferait d’une chambre à airs. Des airs que longtemps on garde en tête car « Là, dans cette éternelle crise / Malgré tous ses discours pompeux / On attend le Temps des Cerises. »

La page Wikipédia d’Yvan Dautin, c’est ici ; le site des Danzin, c’est là. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Dautin, c’est ici ; de Danzin, c’est là.

Yvan Dautin « Elle est comme elle est belle » : 

Pierre-Paul Danzin « Au temps des feux de camp » :