Jules et Jo : objets chantants bien identifiés
7 octobre 2022, salle Pinatel à Saint-Genest-Lerpt (42),
Au moins, le terrain est vierge : ici, ils sont inconnus, offerts en guise d’apéro aux futurs abonnés de la saison culturelle. Une attraction que la programmatrice a dégotée au marché du Off, en Avignon. En plus c’est délicieusement exotique : vous pensez, ils sont belges, pays insolite où le gasoil est certes plus cher que chez nous mais où les rayons des magasins regorgent encore de moutarde de Dijon.
Jadis, Jules et Jo faisaient résolument dans la chanson comique : là, c’est bien plus subtil. Ils distillent et instillent lentement, au gré de chansons dont on sait pourtant l’objet. Et pour cause : chaque titre porte le nom d’un objet. Et sa fonction, même si déjà c’est plus alambiqué que ça.
Le public est familial. Fusent les rires d’enfants : c’est même pas une bande-son, ce sont des vrais mioches qui rient des imbécilités de Jules, des incongruités de Jo. De mots qu’ils ne comprennent pas (ça vaut mieux parfois ; aux parents de leur expliquer dès le retour à la maison, même le vibre à ma sœur ou un truc comme ça…) mais trouvent jolis je n’ose justement dire sexy.
L’humour infuse. Oh, c’est pas évident au début. Ils ont beau être belges, c’est moins frappant que du Franquin. Faut d’abord s’accoutumer à ces deux-là, dans la relative pénombre de la scène (ici, on économise déjà en prévision de futures privations). Entrer dans leur univers sans s’en faire tout un monde, ne s’étonner de rien, même sourire à contre-temps. Ce sont certes des artistes de variétés mais ils ne semblent pas être comme les autres, comme un truc génétiquement modifié : les codes ne sont pas les mêmes, à nous de nous mettre au pas. Ou pas. Et de les suivre dans leurs « chemins de lumière » où ils veulent, lentement mais sûrement, nous conduire, non comme des gourous mais plus à la manière d’un possible Hamster jovial.
Comment oser des chansons rien que sur une fourchette, un bocal, un abat-jour, une allumette ou une boule à neige, un velux ou une caravane, une chaise de jardin… (au demeurant que des objets chantants bien identifiés !) Ou ce pauvr’ cochonnet, si noire et cruelle chanson qu’on la croirait sortie d’une bande dessinée de Foerster (tiens, encore un autre belge, celui-là !). Chez Jules et Jo, l’humour est singulier qui, graduellement, monte en puissance, comme un thermomètre dont on voit poindre, au loin, le mercure. De saugrenu au début, il devient sinon essentiel au moins nécessaire, addictif, tant qu’on finit par attraper le pompon même si « Je n’ai jamais attrapé le pompon / Au fond jamais je ne l’attraperai / Le grand manège de la vie a dit non / Je crois que le pompon toujours m’échappera… »
Abrégeons la relation de ce concert et mes crampes zygomatiques persistantes. C’est en tenue de Véronique et Davina, se trémoussant sur un insupportable disco, qu’ils finiront leur show alors tout chaud, presque incandescent. Si, au terme des soixante-dix minutes contractuelles on n’est pas encore convaincu, limite enthousiaste, c’est qu’on le sera plus jamais, qu’il vaut mieux que nous retournions à l’écoute studieuse de l’intégrale du chanteur philosophe Pascal Obispo.
L’humour belge a encore frappé. Dire qu’avant, Saint-Genest-Lerpt était une paisible petite commune…
Le site de Jules et Jo, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de ces deux-là, c’est là.
Ah, observateurs que vous êtes ! Plusieurs d’entre vous m’ont fait remarqué que, si Jo est belge, Jules est français. Je le sais. Mais, sans doute pour le fisc, que sais-je, Jules aime à se faire passer pour belge. Et nuancer sa nationalité n’allait pas bien dans la logique de mon article. Et pis voilà, na !