Mare Nostrum Brassens Tour
Canet en Roussillon, la façade maritime et touristique de Perpignan, n’a pas particulièrement de liens avec Brassens, si ce n’est la passion qu’il suscite sans limites géographiques, loin des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Cette passion s’est structurée autour de l’association Les Copains de Brassens, animée avec une certaine originalité par Michel Mariette. C’est en effet le cent-unième anniversaire de la naissance du célèbre Sétois que ces joyeux drilles ont décidé de célébrer, du15 au 20 mars, avec une douzaine de concerts très variés, présentés avec faconde par Jean-Marc Dermesropian ; ajoutons un film, des débats, des dégustations, des rencontres informelles et l’orgue de Barbarie de Jean-Pierre Laurant pour les intermèdes.
Georges Brassens a une place à part dans la chanson. Une sorte de régime spécial. Plus qu’un simple auteur-compositeur, il est malgré lui reconnu comme poète, comme inspirateur et maître à penser, pour des générations de chanteurs. Qui, à moins de vouloir à tout prix passer dans une émission d’Hanouna, oserait dire aujourd’hui le contraire ?
Le Mare Nostrum Brassens Tour 2022 de Canet reflète à sa façon le caractère universel incontestable d’une œuvre qui dépasse les styles et les générations, défiant allègrement le temps et l’espace.
Le temps ? Si les têtes chenues sont nombreuses à entretenir la mémoire du moustachu, n’a-t-on pas vu aussi cent-vingt écoliers de Canet au Théâtre Jean Piat reprendre une douzaine de ses chansons, artistiquement dirigés par Jean-Pierre Laurant et Erwens ? Bon, ils n’ont pas chanté Fernande ou Mélanie, nous n’en sommes pas encore là ! Ils ont simplement pris les braises pour les porter un peu plus loin dans le futur, pour nous rassurer : Si les enseignants s’y mettent, le feu ne s’éteindra pas.
L’espace ? Les frontières culturelles sont bien minces pour Brassens, repris dans des dizaines de langues du monde entier, dans tous les genres musicaux. Combien de festivals par semaine faudrait-il pour en faire le tour ? Raisonnablement, c’est donc « Notre Mer » qui définit le cadre de ce voyage en chansons.
Devant le public du Roussillon, proximité exige, c’est l’Espagne voisine qui est à l’honneur par sa diversité. Le quintet andalou La Mala Reputacion, jazz manouche à la virtuosité incontestable et reconnue a été très remarqué. Miquel Pujado, philologue, scénariste, écrivain, auteur-compositeur est confirmé en qualité d’interprète pugnace de Brassens en catalan. Néanmoins, pour un public francophone, l’interprétation d’Eva Denia, en français surtout et aussi en valencien, sa langue maternelle, restera dans les mémoires avec sa très jolie voix, sa diction parfaite, sa tonicité et surtout un charme indéfinissable. Ayant chanté Brassens pour la première fois, près de Perpignan voilà dix-huit ans, elle annonce à Canet, au grand regret de tous, que c’est sa dernière… d’autres aventures l’attendent.
Élargissons le cercle autour de la Méditerranée, « où même à ses moments furieux, Neptune ne se prend jamais trop au sérieux« . Ce n’est pas en effet la tempête mais un coronavirus sadique qui nous a privés du trio italien Andréa Belli, Franco et Alessandro Pietropaoli. Faisons un détour bilingue par la Grèce, avec Dimitris Bogdis et osons même traverser. L’Algérie nous attend avec Djamel Djenidi, et le groupe El Djamilia qui enrobe de musique arabo-andalouse et plus particulièrement de chaâbi algérois les chansons en français et traduites en arabe. Une belle ambiance colorée et ensoleillée, prouvant que sept artistes, assis en arc de cercle, peuvent par leur talent nous transporter bien plus loin que bon nombre d’adeptes de la gesticulation.
Cette belle ouverture géographique n’exclut pas la langue d’origine de Brassens qui a si bien su nous faire goûter la saveur de ses subtilités. Ses interprètes francophones s’efforcent de les mettre en lumière, d’en révéler la richesse et les espiègleries.
Le Languedoc forme pour un retour aux sources, une boucle imprégnée de jazz et de soleil, avec le premier concert du festival, celui de Fred Karato et ses Enjoliveurs et le dernier, de Bruno Granier. Celui-ci n’est pas que le petit-cousin mais aussi l’un des meilleurs interprètes de son parent. Dans une ambiance de jazz manouche mâtiné de tarentelle, avec la complicité de Philippe Lafon, il a revisité, entre autres les chansons que Brassens aimait dans sa jeunesse.
D’autres, de divers horizons, apportent leur touche personnelle aux différentes perles du répertoire du Sétois. Le concert de Marie Volta avec des œuvres moins connues de Brassens, a révélé le talent remarquable d’Anne Gouraud à la contrebasse et aux diverses facéties.
Le charme naturel de Marie d’Epizon n’est pas une légende. Elle nous dévoile avec beaucoup de grâce et de conviction un Brassens que les aveugles et les sourds taxent parfois de misogynie mais qui pousse cependant le respect et l’amour des femmes bien plus loin que bon nombre de ses contemporains et successeurs : De la Complainte des Filles de Joie à Quatre-vingt-quinze pour cent, Marie nous a convaincu.
Brillant, déroutant, fantasque, coloré, plein de surprises et pourtant fidèle au plus près à l’esprit de tonton Georges, Yves Uzureau joue avec ses chansons comme un jongleur, un clown ou un illusionniste. Entouré d’excellents musiciens, dont, encore, l’étonnante Anne Gouraud (contrebasse, grimaces et chorégraphie !) il repousse les limites du possible sans jamais tomber dans la facilité, avec des inventions quasi-théâtrales. Son Gorille, dans une ambiance de zoo, est sidérant de drôlerie et de gravité à la fois. Des chansons de Basdorf aux posthumes exhumées par Bertola, il nous révèle avec une savante amplification les ressources les mieux cachées d’une œuvre que l’on croyait à tort déjà connaître.
Marie d’Epizon, Pierre Bernon et Jean-Pierre Barreda « Les Oiseaux de passage » :
Eva Dénia « La Première fille » :
Yves Uzureau et Anne Gouraud « Si seulement elle était jolie » :
J’ai omis de mentionner la belle exposition « Un instant de Brassens » sur le parcours chronologique de Brassens, réalisée par Les Amis de Georges.
Dont acte.