Au pays des merveilles de Claire Gimatt
Cela fait quelques années que NosEnchanteurs suit Claire Gimatt – d’abord dans la région de Toulouse sous la plume de Claude Fèvre – la franco andalouse au teint pâle et aux yeux clairs qui contrastent avec un tempérament méditerranéen de feu.
S’exprimant d’abord en piano-voix dans une langue poétique (elle fut Prix Claude-Nougaro en 2011), en espagnol comme en français, elle a très vite adopté un style plus baroque avec un quartet aux accents jazz, orientaux ou latins, dans un monde qui s’est fait de plus en plus fantastique avec la création de ce personnage, La Baronne « au grand chapeau troussé ». On l’a vue tant à Paris qu’à Berlin, Avignon et même en Nouvelle-Calédonie.
En solo au clavier-machines, en trio avec Céline Biolzi à la batterie et Elodie Poirier au violoncelle, toutes deux aux chœurs, elle crée un nouveau spectacle baptisé Sorcières, dont ce nouvel album est aboutissement.
D’abord, le contenant à lui seul œuvre d’art : un très beau format carton comme un ancien 45 tours, avec des fiches individuelles pour les textes, de superbes photos, et le téléchargement possible des titres par QR code. Chaque fiche peut s’offrir individuellement en cadeau, les photos peuvent s’encadrer, et l’ensemble des fiches forme puzzle. Beaucoup de créativité dans ces nouveaux formats que les artistes mettent à notre disposition pour lutter contre la dématérialisation de la musique.
C’est un album de femme qui s’inscrit dans une des tendances actuelles, à l’opposé du refus du genre, au contraire une fierté de la féminité essentialisée dans une sorte de puissance sacrée. C’est sabbat de sorcières, femmes qu’on condamnait parce que détenant intelligence et savoir refusés aux personnes du sexe, femmes prêtresses, déesses, (toutes) puissantes, femmes qui font peur parce qu’au cœur du mystère de la Vie.
La sorcière habite les bois, danse, chante « sans cesse à tue-tête / il paraît que c’est digne / d’une diablesse », guérit les maux, se rit même du bûcher, court derrière L‘Orme « qui marche pour que le jour jamais ne vienne ». Le principe féminin est nocturne, « dans le noir » et humide, et ses pleurs sont fleuves qui nourrissent la mer. Si la sorcière chevauche toujours son balai pour survoler le tableau de Dali, elle borde aussi la grand voile à la recherche du kraken « qui change les navires en sable », le dompte « et terrorise les matelots, (…) la louve des mers », d’un battement de cil commande aux éléments. Mais sait utiliser les technologies de son temps, L’aviatrice « qui survolait le monde », dans un scénario apocalyptique.
Arthur Guyard a réalisé et co-arrangé l’album et joue aussi piano, claviers, guitares et basse, avec Louis Navarro à la contrebasse et Chloé Bousquet au violon, dans un mélange très réussi d’instruments éternels et d’électronique. Claire est tant voix principale que tous les chœurs, elle a écrit et composé tous les titres de cet album qui constitue un conte en plusieurs épisodes, un récit mythologique de ces héroïnes hardies intemporelles. Sa voix ensorceleuse tire de sa gorge des sons polyphoniques qui semblent venus du fond des âges, comme le font Ottilie B ou Clara Ysé. Elle nous transporte dans le monde baroque des peintres anglais Füssli ou Beardsley, dans un paysage surréaliste de Dali. On est prêts à la suivre au Clair(e) de lune tout au long de cet opéra dansant ou plus mystérieux, parfois mélancolique mais surtout enivrant et joyeux.
Claire Gimatt, Sorcières, Microculture / Inouïe Distribution 2021. Le site de Claire Gimatt c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.
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