Pascal Rinaldi : vies de femmes en mille morceaux
Il est de ceux qui ont écrit les plus belles chansons d’amour, comme ce Il faut qu’on s’touche récemment revisité en une version prophylactique, contrariée par la Covid19.
Revoici l’Helvète Pascal Rinaldi, pour un treizième et toujours excellent opus. Le ton cependant change : l’artiste nous raconte des « femmes en miettes », brosse de douloureux portraits où violence, mépris et indifférence sont le lot du quotidien. « Des chansons qui parlent de femmes qui luttent, qui ont lutté, anonymes ou célèbres, de nos rapports lumineux ou déchirés avec Elles » nous en dit Rinaldi, qui poursuit : « J’ai composé de nouvelles chansons et repris pour mon compte des chansons que j’avais écrites pour d’autres et différents spectacles, toutes ayant un rapport avec des vies de femmes réelles ou inventées. A l’heure des combats et revendications pour le respect et l’égalité des femmes, je pose un regard d’Homme impliqué, militant et amoureux à travers des chansons tendres et parfois cruelles qui illustrent des figures féminines anonymes, fantasmées ou célèbres, nos désirs, nos amours et nos échecs. La vie quoi ! »
Premier titre et triste entame, Une femme en miettes. Femme battue, corps meurtri, ensanglanté : « C’est des esquilles / Et des éclats / Chair en charpie / Au coutelas / Sous le fil tranchant du rasoir / Le cœur dans un équarrissoir / Tout se disloque / En p’tits morceaux / Tout n’est que loques / N’est que lambeaux / Des reliefs au fond d’une assiette / Les restes d’une femme en miettes ». Chaque année, en grand nombre, des femmes tombent sous les coups de leur compagnon. Si ce ne sont en général que de furtives infos en radio-télé, Rinaldi met en scène – on n’ose dire « en chair » – ces mises à bas. Un premier titre qui vous fait froid dans le dos : « Tant de viles violences / Passées sous le silence / De meurtrissures au corps / Et plus encore » poursuit-il au titre suivant, tant « il est long d’inventaire ».
Blessures au corps, blessures à l’âme, vies de souffrances, d’humiliations. Force et vulnérabilité de la femme : « Fatima, Sophie ou Solange / Autant de cris dans le désert […] A prendre le mâle en patience / Elle ont dû apprendre à se taire ».
Des portraits, un tableau aussi : celui de Mona Lisa qui « depuis le temps […] patiente / accrochée au mur du musée » Et cette douce et superbe évocation de la peintre mexicaine Frida Kahlo : « Si j’ai des ailes pour voler / Des ailes pour voler / Peu m’importe d’avoir des pieds ». Une chanson reprise de la pièce musicale Frida Jambe de bois créée l’an passé par la Compagnie de l’Ovale à Monthey, en Suisse.
Il y a Mimi Goulue, ainsi nommée « rapport à sa spécialité » désormais sans appétit « trop de couleuvres avalées ». Là, Lilith, le démon féminin… Putes ou madones.
Seules notes d’espoir dans cet album, la tendresse de Pascal Rinaldi à l’adresse d’une femme, et par elle de toutes les femmes.
Difficile de clore cet album qui résonne à la manière d’un très partiel inventaire. Le rôle échoit au poète Rainer Maria Rilke : « Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, le premier mot d’un vers ».
Sera tiré de cet album un spectacle en formule piano-voix, où Rinaldi partagera la scène avec Julien Galland, présent sur ce disque parmi d’autres musiciens (trompettes, violoncelles, batterie et chœurs).
Pascal Rinaldi, Portraits de femmes en miettes, autoproduit 2020. Le site de Pascal Rinaldi, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Un des plus grands auteurs de chansons. Un artiste sensible, un véritable orfèvre à découvrir de toute urgence.
Ecoutez Le Grand soir sur RTS.ch où Pascal Rinaldi est l’invité principal à propos de cet album, passionnant moment de chanson (avec un invité surprise à 29 : 02)
https://www.rts.ch/play/radio/le-grand-soir/audio/pascal-rinaldi?id=11605028