Francesca Solleville, l’intégrale de ses débuts discographiques
Un bel objet que ce coffret de quatre CD consacré à l’intégrale des enregistrements BAM* (la Boite À Musique) de Francesca Solleville. Plaisir encore, à l’ancienne, de trouver un livret accompagnant cette intégrale (avec un petit souci d’imprimeur qui ne remet pas en cause la présentation alerte de David Desreumeaux). Puis il faut plonger dans ces 102 chansons pour la plupart inédites en CD. Une nouvelle somme après les disques studio Dolce Vita (2017) et Les treize coups de minuit (2019).
Travail de réédition « sérieux » et documenté des premiers enregistrements, ceux introuvables, des années BAM, de celle qui fait partie des coups de cœur des Enchanteurs. Deux mots d’explication sur ces enregistrements parus entre 1959, qui marquèrent un tournant dans le parcours de Francesca Solleville, et 1972, années marquées par un engagement militant et artistique. « Époque magnifique » assure Francesca Solleville où domine l’esprit de camaraderie, sans compétition entre artistes. Francesca Solleville après avoir débuté dans le milieu de la musique classique a décidé à l’époque de se consacrer à la chanson.
En 1959, à la Mutualité, Aragon présente son livre La semaine sainte et Ferré veut créer ses nouveaux titres Aragon-Ferré. En première partie Philippe-Gerard demande à Francesca d’interpréter deux chansons et l’accueil est chaleureux. Rencontre encore en ces temps de commencements de Jacques Douai qui mit Francesca Solleville en relation avec Albert Lévi Alvarès et sa femme, propriétaires des Éditions de la Boîte à Musique (BAM). D’où un premier 45 tours où l’on retrouve au programme Aragon (La rose du premier de l’an et Un homme passe sous la fenêtre et chante) et Pierre Mac Orlan (Le pont du Nord). Sur des musiques de M. Philippe-Gérard, compositeur prolixe avec plus de mille chansons à son actif. Cet étonnant compositeur s’était spécialisé dans les mises en musiques des poètes contemporains. Enregistrements réalisés à l’époque en direct en présence de l’orchestre. « Ma voix était sûre » note encore Francesca Solleville et le but fixé : transmettre l’émotion avant tout.
C’est donc ainsi que celle qui avait été formée dans le domaine du chant lyrique et avait été choriste à Radio France se consacra d’emblée aux poètes en chansons (Paul Éluard, Desnos, Guillevic,Paul Fort, Hikmet, Max Jacob, Seghers, Queneau par exemple). L’intégrale offre ces pépites inscrites dans la grande histoire de la chanson française où s’illustreront maints artistes dont Jean Ferrat. Le répertoire de Francesca Solleville compte aussi durant cette époque des chansons écrites aux meilleurs sources. Comme Le tourbillon de Bassiak (Rezvani) et Delerue, Jacques Serizier ou l’oubliée Catherine Paysan. Sans compter les chansons dites engagées. Comme les célèbres 200 mètres. Mexico 68 (Brua/Gaël) ou Viêt-Nam d’Henri Gougaud et Je n’irai pas en Espagne (Louki-Heyral). Intégrale où l’on découvre un titre écrit par Malchican : La légende des Saintes-Maries-de-la-Mer**. Un autre titre, La chanson, est signé Serizier-Solleville.
Ce n’est pas sans une certaine nostalgie fervente que l’on écoute cette intégrale, la même semaine où s’est éteinte Juliette Gréco, autre femme libre. Comme l’a écrit Maurice Fanon, le temps, notre temps s’écrit en chansons : « C’était il y a si peu de temps / Quand il nous suffisait d’une heure / Pour faire d’une larme une fleur / D’une nuit un soleil levant ».
ROBERT MIGLIORINI
Francesca Solleville, Récitals, intégrale des enregistrements studio BAM. 4 CD. Label EPM/MCA/Universal.
*A l’exception de l’album « Francesca Solleville chante la violence et l’espoir » (BAM, 1972) déjà intégralement repris dans l’anthologie « Venge la vie » parue sous la forme d’un coffret de cinq CD chez EPM en 2009.
** Notons que les quatre titres que sont La légende des Saintes-Maries-de-la-Mer, Pauvre Boris, Lola Lola et Poète ou berger sont sortis sur l’unique 45 tours de Francesca Solleville du label Barclay, en janvier 1968.
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