Stavelot 2019. Bancal Chéri, il a les épaules pour le rock ‘n’ roll
Stavelot, «Une chanson peut en cacher une autre», 26 octobre 2019,
On appelle cela un supergroupe (en anglais, un All-Stars Band) : un groupe de rock composé de musiciens/ chanteurs ayant déjà acquis de la notoriété en solo ou au sein d’un ou de plusieurs autres groupes. Exemple anglo-saxon le plus célèbre : The Traveling Wilburys, formé pas moins de Bob Dylan, Georges Harrisson, Roy Orbison et Tom Petty. Exemple français : Emile et Images, ou la formidable union entre Gold et Images.
C’est donc une Dream team qui était annoncée sur les planches de Stavelot ce samedi-là. Au chant, à la guitare et aux claviers, Dimoné. Au chant et à la contrebasse, Imbert Imbert. Au chant et à la guitare, Nicolas Jules. Aux chœurs, à la batterie et au xylophone, Roland Bourbon. Un casting en béton. Un groupe de Kings de l’alternatif. La crème des chanteurs pas (très) connus. Le tout réuni sous l’appellation incontrôlée de Bancal Chéri. Sur papier, la promesse d’une soirée mémorable. Mais encore fallait-il transformer l’essai.
L’écoute de l’album nous avait bien sûr donné une idée de ce qui nous attendait : du rock foutraque, mélangeant les styles et les ambiances, enfant bâtard de Nino Ferrer et du punk. Mais ce fut pire ! Pire en mieux, of course. Sur scène, le son de Bancal Chéri est plus fort, l’énergie plus intense, la folie moins douce. C’est une déflagration atomique, un bombardement des sens, une urgence qui tenaille, une envie de vie. Un concert parfait dans son imperfection, dans sa volonté de voler hors des clous, dans sa démarche claudicante. Une musique hors format et hors formatage, qui prend les tripes et s’accroche au cœur. Et même si le public est resté sagement assis jusqu’au final (et encore ne s’est-il levé que parce qu’on lui en a intimé l’ordre !), il n’en a pas moins pété ses durites intérieures, réservant un accueil chaleureux et enthousiaste à cette formation pas vraiment dans le style habituel de la maison.
Bancal Chéri est-il vraiment un groupe ou une addition d’individualités ? La question peut se poser. Toutes les chansons sont signées collectivement, certes, mais il est aisé d’y déceler la patte prédominante de l’un ou de l’autre. Trois fortes personnalités à la tête d’une œuvre personnelle ne se fondent pas facilement en une seule. Nous avons donc retrouvé ce soir-là les traits dominants de chacun : la poésie lunaire et l’humour de Nicolas Jules, la présence hiératique de Dimoné (même s’il eut quelques coups de folie mémorables), la tendresse écorchée d’Imbert Imbert. Sans omettre l’animalité terrienne de Roland Bourbon. Et chacun de chanter à tour de rôle (aucun duo, ni trio) des chansons qui lui ressemblent et ne dépareraient pas dans son répertoire.
Mais qu’importent au fond ces considérations. Le plaisir qu’ont les lascars à être ensemble sur scène est palpable et l’entente entre eux est parfaite, nul ne cherchant à tirer la couverture à lui. C’est à quatre qu’ils nous ont offert de bien jolies choses finement écrites, allant de la dissertation hallucinée (L’habitude enfin) à l’hommage au chanteur mort (Screamin Jay Hawkins), du mal-être amoureux (N° lose bis) au chant exotique aux consonances slaves (Natanaë), de l’exhortation à la liberté (Les tampons de ouate) à la défense de la différence (Le droit d’être tordu), en passant par une ballade nostalgique et provinciale adaptée des Kinks (La Vienne et les Deux-Sèvres). C’est à quatre qu’ils ont mis le feu aux poudres, chacun à sa manière, sans jamais perdre le fil, ni sombrer dans la provocation gratuite. C’est eux quatre qu’il convient de féliciter sans distinction et de remercier pour cette soirée revigorante en diable. Richard Gotainer a chanté jadis celui qui claudique et qui boîte par amour du guingois. Peut-être visait-il anticipativement nos quatre agités du bancal.
Le facebook de Bancal chéri, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’eux, c’est là.
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