Alex Beaupain, pétri de talent
Alex Beaupain nous revient ce 4 octobre avec Pas plus le jour que la nuit. Celui qui, de son propre aveu, a bien failli ne jamais devenir chanteur (c’est le décès subit, à l’âge de 26 ans, de sa fiancée qui sera l’élément déclencheur) nous livre, avec ce sixième album, une œuvre plus singulière, plus aboutie. Plus personnelle, et paradoxalement moins narcissique.
Après avoir, pendant près de vingt ans, puisé l’inspiration dans ce deuil douloureux, avec la part d’amertume, de cynisme, de désenchantement qui en sont le pendant, l’homme semble avoir retrouvé la paix intérieure. Son nouvel opus se révèle être un trésor de sensibilité. Certes, l’atmosphère de l’album reste sombre et empreinte de mélancolie, mais le chanteur semble avoir à présent quitté le champ de sa propre tristesse, relevé la tête et porté son regard sur le monde qui l’entoure. Moins autobiographique que les précédents, Pas plus le jour que la nuit est un mélange réussi de chansons intimes et d’observations sociétales.
La chanson éponyme est un hommage à Charlotte Brontë, qui, séparée de son amant, lui adresse des mots désespérés (« Pas plus le jour que la nuit, je ne trouve le repos et la paix »). Beau cri du cœur, qui lui a inspiré le tableau d’un amour destructeur. Non sans une certaine ironie : dans le clip de la chanson, Beaupain y met en scène sa propre mort en trois actes ! D’amour, il en sera évidemment encore question : douleur de la séparation (Tout le contraire de toi), charme de la conquête (Si tôt) assortie de l’amère déception qui suit le passage à l’acte (« Qui s’enlace se lasse dès que c’est dans la poche », chante-t-il avec une cruelle lucidité), envie de dévorer l’être aimé (Diastème)…
Toutefois, le bel Alex délaisse avec cet album la sphère intime, où il avait tendance à se complaire, pour porter un regard sans indulgence sur l’époque et le monde qui nous entoure. Retiennent ainsi son attention la désillusion de l’après-68 (« Cours camarade / Le vieux monde reprend son souffle / Quelques décades / Et tu rentres dans ses pantoufles ») ou la fusillade dans un club gay d’Orlando (« Les cheveux trempés de sueur / Une balle tirée dans le dos / As-tu seulement vu ton tueur / A Orlando ? »). Passage quasi obligé, le terrorisme est évoqué avec délicatesse et pudeur par une subtile métaphore : « Leurs cris affolent nos antennes / De façon quasi quotidienne / Les sirènes / Elles annoncent la venue soudaine / De bien vilains croquemitaines / Les sirènes ». Pour clore l’album, il dresse l’état des lieux de la planète, agonisant sous une « Poussière lente » et se rappelle les espoirs insensés que le siècle passé avait placés dans les années 2000. Amère désillusion, deux décades plus tard : « Mais l’avenir est une île / Et nos barques ont pris feu ». Pas de cinglant reproche, toutefois, pas de revendication véhémente, pas de brûlot ardent : l’artiste constate, relate, s’émeut, ressent et questionne tout en nuance. Juste quelques chansons pour éveiller nos consciences.
La singularité de l’album se retrouve aussi côté musique. La variété un peu lisse de « Loin », son précédent album, cède la place à une pop aux sonorités plus modernes, tendance électro. L’absence de cordes et le nombre restreint d’instruments (claviers, batterie et basses) confèrent à l’ensemble une dimension acoustique délicieusement feutrée. Un renouveau que notre chanteur doit à sa collaboration avec la nouvelle génération, à savoir Sage (qui a co-produit l’album de Clara Luciani) et Superpoze (producteur de Lomepal). Du sang neuf bienvenu.
Avec Pas plus le jour que la nuit, en quittant les rives de l’intimisme, Alex Beaupain se dévoile comme jamais. Il confirme sa place à part, entre chanson française et pop légère, entre Daho et Souchon, fin prêt pour la relève d’Alain Chamfort. A écouter autant le jour que la nuit.
Alex Beaupain, Pas plus le jour que la nuit, Polydor/Universal 2019. Le site d’Alex Beaupain, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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