Yvan Dautin, lanceur d’alerte, en vers et contre tous
Sauvé dans Lancer de disque
Tags: Barjac 2019, Gérard Morel, Nouvelles, Prix Jacques-Douai, Yvan Dautin
Bien sûr il y a la joie de retrouver Yvan Dautin, sa voix intacte, grave et douce à la fois, mélancolique, aux intonations changeantes selon l’humeur, qui parfois font songer à Jean-Roger Caussimon, à Julien Clerc… Ces trois dernières décennies, Dautin ne nous avait offert que deux albums (le précédent, Un monde à part, remonte à 2012), c’est dire si celui-ci est événement, qui nous rappelle utilement l’immense artiste qu’il est et qu’on avait quelque peu oublié, bien souvent abandonné à nos souvenirs de la chanson d’auteur des années soixante-dix et à quelques titres plus fameux que d’autres tels que La mal-mariée, Boulevard des Batignolles, La méduse, Monsieur monsieur ou La Portugaise, des rendez-vous tristes et d’amours manqués que tentaient de ruiner quelques pirouettes, bijoux de non-sens et jeux de mots, dérisoires et utiles mots d’humour et grimaces assorties. Comme si cet artiste avait besoin de faire le con, de faire le clown, pour taire son trop-plein de sensibilité et de colères, par excès de pudeur, par dérisoire mais élégante politesse.
Dautin s’est fait rare. Ou discret. De temps à autre, tel un marronnier, la presse people ou politique se souvient de lui pour un sujet style « tel père, telle fille » et mesure l’ADN familial de cette Clémentine, députée, et de son paternel, indécrottable insoumis devant l’éternel.
Ce n’est pas qu’il nous revient – il n’est jamais parti – mais ce nouvel album, Le cœur à l’encan, nous donne cette tenace impression. D’autant qu’il s’écoute sans modération, avec passion. Avec toujours les mêmes ingrédients : des textes d’une écriture sûre et sans rature et chaque fois un somptueux écrin musical qui leur sied à merveille (piano et claviers, cordes et cuivres, sous la conduite du fidèle complice, pianiste et arrangeur Angelo Zurzolo). Ceux qui ont eu la chance d’écouter cet album avant tout le monde s’accordent à penser que ce serait son meilleur album et c’est peu dire.
Le Dautin d’aujourd’hui s’est-il assombri ou est-ce le monde qui plus encore s’aggrave ? Bien sûr notre chanteur ne se refait pas et le précurseur de la salsa qu’il fut renoue avec l’humour du presque Bourvil qu’il sait aussi être. Il fait même valser les putains, « n’en déplaise à ta mère », dans une autre et superbe complainte aux filles de joie, que n’aurait sans doute pas renié Brassens.
Mais ce n’est pas le hasard qui fait qu’une abeille est sérigraphiée sur la galette de laser. Comme jadis le canari dans la mine se sacrifiait pour vous alerter du grisou, nos abeilles crèvent pour dire la fin d’un monde, du nôtre : « C’est le vent qui colporte la mauvaise nouvelle / Plus d’abeilles plus de miel / Et notre terre est morte ». « Et tout est marchandise / Même le désamour / L’ours blanc la banquise / Un aller sans retour / Le noyau, la cerise / La marée noire du jour ». S’il tue les abeilles, l’homme n’en est pas moins occupé à tuer les siens par d’autres manières. Et Dautin se pique aussi de croquer celui qui fait commerce d’armes comme ceux, « braves couillons syndiqués travailleurs », « qui usinent la chose pour un monde meilleur ». De chanter, désenchanté, cette dame Cendrillon des bas-fonds qui dort sur du carton : « Elle est plus bas que terre / Elle est à moins zéro ». Et cette Raymonde qui « touche sa retraite / Au flambeau des pépètes / Dans son pièce cuisine / Elle est de qui dort dîne… »
Car Dautin chante les petites gens, les sans-grade, des tranches de vie avec ou sans gloire. Avec empathie, avec humanité. Et grande tendresse. Lui regarde bien souvent ceux qu’on ne voit plus, qu’on ne veut pas voir de peur se se voir tendre le miroir d’un possible lendemain.
Les paroles et musiques choisies n’y sont pas pour rien qui, comme les couleurs du peintre, les mots de l’écrivain, vont restituer au plus juste le quotidien, « le trou dans la chaussette et le filet garni ». Sans être tout à fait dans le sombre, le soleil ne perce pas beaucoup ces chansons-là. Où alors c’est du clair-obscur, du De la Tour : une petite flamme au cœur de ces titres qui met en lumière des êtres, des âmes. Et les magnifient.
On ne sait si Yvan Dautin est chanteur engagé et peu importe. Il n’est pas dégagé des choses, de la vie, ne chante pas en touche, ne botte pas en vain. Quant le temps sera venu d’écrire sur notre époque, les historiens se pencheront aussi sur les chansons d’Yvan Dautin, lanceur d’alerte en vers..
Si ce n’étaient ces dangers imminents, cette angoisse prégnante, ces nouvelles chansons seraient hors du temps, sans âge, souillées d’aucune mode, actuelles pour hier comme pour demain. Si demain il y a.
Sans remplir de grandes salles, sans squatter – vous le sauriez – radios, journaux et télés, sans crier gare, Yvan Dautin nous sort l’un des plus beaux albums chanson qui soit. Rien à soustraire, rien à rajouter, il est fildefériste en équilibre sur l’émotion, sur l’amour et, parfois, par touches, sur l’humour. Sa palette n’a jamais été faite que de ces trois tons. Il vient de peindre ses plus belles chansons.
Yvan Dautin, Le coeur à l’encan, EPM/Universal 2019. Le facebook d’Yvan Dautin, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.
(cette présentation d’album a été initialement rédigée pour le besoin des éditions EPM).
Pas de vidéo correspondant à ce nouvel album. Par défaut, cette captation récente, d’Un monde à part (merci encore, Hexagone !) :
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