Off Avignon 2019. Yoanna, fauve en colère
15 juillet 2019, l’Atypik Théâtre
Princesse était nuancé dans la forme comme dans le fond. Le violoncelle avait de la rondeur et du rythme et l’accordéon pleurait souvent. Des révoltes, des peurs, des hantises, écouter J’ai peur, Nos corps… Mais aussi déjà la tentation d’être la féroce, fatale à l’homme : [Elle t'a pris] pour un con, la Prédatrice. Suivi de ce faux Protège moi.
Yoanna dans Un peu brisée, était double. Ses émotions tendres et crues, sa mélancolie.
Ici elle a rassemblé toutes ses forces, s’est faite une. C’est à l’attaque, avec la force de la batterie et des boucles électro, et toujours l’accordéon noir qui lui barre la poitrine pour cracher sa fureur.
Plus l’époque de se poser des questions, on y va on y va. Marquée d’un loup tribal, les yeux noirs, courroucés. Un tailleur en cuir noir, brodequins lacés, et un trois-quart panthère, non, pas celui de Clavier dans le Père Noël est une ordure, quoique ce Père Noël là ressemble à certains mâles qu’elle dénonce…
Elle gueule, elle n’a plus peur de faire peur, au contraire, ça l’amuse de passer pour une sorcière, pour une chamane. Rien dans la nuance, tout dans l’action.
J’suis très contente d’être là, dit elle en parodiant les potiches. La batterie de Mathieu Goust cogne et l’accordéon grince. Deuxième sexe, merci Beauvoir, attaque très fort avec tous les clichés sur les femmes : « Tu es faible…C’est dans tes gènes (…) Encore eut-il phallus que tu naisses (…) Une côte en plus / Des mamelles et des emmerdes posées sur un utérus… »
Annonce d’une chanson douce qui fait rêver, comme une comptine enfantine… « Une drôle de dame, je l’attrape par les cheveux ». Ça incante, ça hurle, dans des rires sardoniques « Au bûcher, sorcière ! » Hymne aux femmes libres, qu’on brûlait pour leur liberté d’esprit, qu’on lapide encore maintenant.
Un petit coup d’électro pour déformer la voix, sur les injonctions faites aux femmes qui se sont efforcées de tout réussir, travail, famille, séduction, et à qui on conseille encore de se conformer à un rôle plus dans la norme et la tradition : « Retourne donc dans ta cuisine faire des gâteaux pour tes copines / Occupe toi donc de ton corps ». C’est bruyant, ça dépote, c’est violent, mais pas tant que la réalité sournoise.
En contraste l’accordéon prend le dessus pour réclamer la liberté d’être, de respirer tout simplement : « Laissez-moi ma colère laissez-moi mes défauts laissez-moi ne rien faire ou parler aux oiseaux … »
Tout est sauvagerie, danse chamanique, dénormalisation « Mets-toi doucement ton instinct maternel au creux de ton fondement ». Pas qu’elle refuse l’enfant, cette jeune mère, juste qu’elle veut, si elle aime son enfant, que ce soit un choix et non pas une soumission à l’espèce.
La façon de le dire peut choquer, j’ai même lu quelque part « Quelle horreur », pourtant le public ce soir, hommes comme femmes, est aux anges – ou aux démons – The times they are a-changin’, disait Dylan. Oui, le temps est arrivé d’être rebelle plus que belle, et pas soumise. En marche, mais vers un un avenir plus radieux que celui promis dans les urnes. Elle vous paraît caricaturale la chanson ? Pourtant elle ne répète que ce qu’on a entendu: « Debout debout les traîne-savates les tire-au-flanc pas de solidarité pas d’assistanat (…) Travailler toujours plus travailler ». Ce qu’on a enregistré, à n’en pas croire ses oreilles. Ecoutez jusqu’au bout, ça fait peur hein ? Mais là ce n’est pas d’elle qu’on a peur…
Car Yoanna, féministe – écouter ce Balance ton porc, extraordinaire fusion entre l’ accordéon et la batterie, où elle balance aussi sa veste pour promener sa rage : « Ils te défroquent de leur regard de prédateur en rut / Ils se croient forts car ils sont plusieurs / Ils sentent ta peur » – est aussi en révolte contre tout ce qui ne va pas, nous empoisonne.
Étonnante dénonciation du monde du plastique, où Mathieu crée une belle boucle sonore en écrasant une bouteille dans son poing ; ou tragique bilan de notre société « Il y a le sens de l’eau et le sens des affaires (…) Une mère a péri (…) Les glaciers sont en feu / Et la pluie a séché » ; et en final ce « Nous ne sommes pas encore sortis du tunnel » où l’accordéon gémit, profond, émouvant, et la batterie ponctue, où dans une superbe écriture, les tourments d’une séparation semblent ne faire qu’un avec l’angoisse d’un monde qui se délite.
Yoanna, 2eme sexe. 95, rue de la Bonneterie à 20h40 jusqu’au 28 juillet. Sortie de l’album le 20 septembre. Les 26, 27 et 28 septembre au théâtre Thénardier à Montreuil.
Le site de Yoanna c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
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