Nicolas Jules, quand noir c’est beau
18 mai 2019, Le Petit Duc, Aix-en-Provence,
« Bonne chance à tous et à tout à l’heure… », nous dit d’entrée Nicolas Jules. On est mis au jus dès les premiers mots ! Il faut dire que l’ambiance est déjà sur scène, avec l’arrivée des deux musiciens (faussement) impassibles, le large Roland Bourbon aux percussions, avec son gilet noir sur peau nue et ses mollets avantageux, et Clément Petit en sombre violoncelliste jouant de son côté ours des bois… Serions-nous à un concert de metal ? Quand même pas, mais voilà c’est posé, le décalage sera de mise avec ce trio atypique et la chanson ne sera pas de guimauve… Et puis, le rock, c’était les premières amours du chanteur ! « Nous sommes ravis d’être là, j’espère que cela se voit », nous précise Nicolas Jules d’une voix quasi crépusculaire ! Les rires fusent dans la salle, le contraste est d’autant plus saisissant avec la non-tenue de scène du chanteur en poète ébouriffé, juste un pantalon un peu passé et la chemise itou qui nous disent clairement que c’est son moindre souci. Tant mieux, on n’y est pas plus attaché que ça !
Ambiance, justement, ouvre le bal avec les notes électriques de la guitare du chanteur. La voix est élégante et rugueuse, le rythme est prenant et pour un peu on irait avec lui qui « espérais que la danse / Me reprendrait par les g’noux »… Poète ? Oui, quand « je t’écris sur papier bleu / Par peur de la page blanche » c’est celui qui « n’écrit ni avec le cœur ni avec la tête / Tout ça c’est des trucs à la mords-moi le noeud de powête », c’est le poète rock qui a « peur des habitudes », dira-t-il à la spectatrice qui en est à son quatrième concert de la semaine. De Nicolas Jules. Si. Hommage déguisé en (toujours) second degré et tendresse sous-jacente pour ces fans qui peuvent traverser la moitié du territoire pour venir l’écouter… Vous ai-je d’ailleurs dit que le chanteur revient en « coup de cœur » de la salle du Petit Duc ? Comme on les comprend !
La batterie se fait plus lourde pour Oint (incroyable Roland Bourbon !) qui prend aux tripes quand « c’est le diable qui se marre / Quand on croit que c’est la lune ». Mais que se passe-t-il pour Celui qui n’a rien ? Des rires, là encore ? Pourtant, « celui qui a tout / N’a plus qu’à creuser son trou » ! C’est que ce qu’on voit sur scène est loin d’illustrer les paroles de la chanson, jeu de regards et jeu tout court, le second degré est décidément le roi de ce récital… Hors de question de se prendre trop au sérieux, et c’est bien réjouissant à voir pour les spectateurs qui adhèrent pleinement ! Pourtant, on parle ici de diable, de nuit, de désespoir, de noirceur et la ballade suivante est quand même celle où « mon cœur tourne dans la bétonneuse » !
Alors oui, c’est sombre et noir, et même quand c’est l’amour rouge sensuel « Je ne m’arrête plus / J’ai grillé le feu / Rouge de tes lèvres », la rupture semble là… C’est de ce tragique qui nous touche tous, de cette dérision nécessaire (la p’tite révérence pour saluer !) et surtout de cette douceur dans les notes rock qui serre le cœur sans le noyer. Il ne s’agit d’ailleurs pas de comprendre une histoire, mais de se laisser gagner par un ressenti, par la poésie des mots qui font partie d’une musicalité. Nicolas Jules nous le précisera plus tard : « Beaucoup de gens ont une tendance un peu curieuse à écouter les paroles… C’est toujours un peu codé alors je vous explique, comme ça vous pouvez écouter la musique » ! Une musique magnifiquement portée par des musiciens hors-pair qui l’accompagnent déjà depuis longtemps, autant en concerts que sur les albums (Clément Petit est à la réalisation de Crève-silence). Une poésie qui nous surprend, qui nous gagne, oui voilà un étrange garçon qui nous charme tout autant par ses mots que par ce bel humour pince-sans-rire. Alors, des chansons d’amour ? Certes, mais des affres de l’amour alors, et même du désamour sans doute ; on est bien loin du sirupeux avec « Nous regardions le vide / Le vide nous regardait / De beaux chevaux sans brides / Nous échappaient »… Ecouter les paroles ? Laissons donc cela tout de suite en effet, puisque même à les lire après le concert elles nous échappent encore un peu mais nous charment tellement par leur mystère !
Tiens, déjà la fin du concert ? « J’ai une nouvelle pas excellente à vous annoncer, il ne reste que quatre chansons… [rires dans la salle] C’est pour ça qu’on ralentit le rythme, pour que ça dure plus longtemps [re-rires]… » On entame alors Dernier étage, chanson rock s’il en est et d’ailleurs « A tout moment, vous pouvez danser » ajoute-t-il ! Pas trop le genre de la maison, mais wouah sur scène ça déménage, gros rythme et riff de guitare ! Amour toujours dans les paroles, mais celui du poète, amour idéal et intemporel « Pour toi j’avais inventé qui ne s’éteint plus », qui n’existe que dans l’absolu et se noie « dans l’eau noire de l’oubli ». Si on parle de cœur, c’est qu’il est inaccessible et qu’ « On avait un peu peur / Quand aboyaient les chiens / Gardiens de ton cœur », le chant y étant celui « de passions éteintes / Où volait comme cendre / Les mots du désespoir ». Noir c’est noir, vous dis-je. Mais toujours avec cette légèreté qui emmène l’amour perdu, comme un Faon ? oui mais un « Fan-/ Tôme tu n’existes pas » chanté par les musiciens drôles et inspirés, ou dans la nuit ? « Où il est doux de se / perdre dans des pensées », ou sous Une petite pluie ? arrosant là encore les pensées…
La dernière chanson du dernier rappel (le coup de cœur est aussi celui des spectateurs !) est toute neuve, c’est la deuxième du prochain album. Et elle est belle, comme toutes les précédentes. Alors on vous le conseille d’avance, comme tous les albums précédents où on retrouve les chansons du concert (Crève-silence, Shaker, Powête et –je prends mon élan- La nuit était douce comme la queue rousse du diable au sortir du bain). Déjà plus de vingt ans de carrière avec les plus grands ! Voire trente si on compte les premières scènes… C’est d’ailleurs sur scène qu’on appréciera sans doute encore plus ses chansons, pour le réécouter ensuite chez soi avec ces traits d’humour dans l’oreille. En attendant, pas de doute, Nicolas Jules est bien dans les premiers. Un univers poétique et un poil déjanté, un noir précieux et abrupt, une mélancolie rock intemporelle, Nicolas Jules est une chose et son contraire, voilà qui doit lui plaire, voilà surtout qui nous enchante et nous ravit.
Le site et les prochaines dates de Nicolas Jules, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là
L’eau noire
Joconde
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