Benoît Dorémus, entre la rue Didot et la rue de Vanves
Benoît Dorémus, 30 mars 2019, Le Petit-Duc à Aix en Provence
Outre son impertinente chanson Brassens en pleine poire qui ouvre son concert, et où le gus se permet, après l’avoir insulté, de bombarder « le maître illustre (…) Avec sa moustache de marbre / Auprès de son arbre » à coup de boules de neige, pour regonfler son égo auprès des gamins du quartier, tout ça parce qu’une greluche l’a laissé tomber : « Putain de Georges / Et puis paf le tir parfait / Et le parc entier qui m’acclamait / L’apothéose / Ose me dire que tu m’aimes plus / Ose / J’ai pris mes quinze secondes de gloire », le jeune Benoît a quelques points communs avec son aîné.
Tout d’abord, il est comme lui monté à Paris au temps de sa jeunesse folle, de son lointain midi (très exactement Rognonas, qui est quand même ce qu’il y a de plus au Nord des Bouches du Rhône ) en passant par la Moselle. Ce déracinement entraîna une fugue contée dans une de ses plus émouvantes chansons, Deux pieds dedans, où il émet des doutes sur le fait même que son absence ait pu inquiéter sa famille.
En tout cas, Benoît est drôlement content de le retrouver, ce midi, et plus particulièrement Le Petit Duc à Aix où il avait déjà été bien accueilli en trio il y a deux ans. Nous le retrouvons seul avec sa vieille Gibson LG1 de 1956, dans un spectacle intimiste consacré essentiellement à son dernier album, En Tachycardie, dont il nous chante neuf des quatorze chansons. Ceux qui ne le connaissent pas découvrent avec émerveillement la sensibilité, la finesse d’écriture, la gymnastique textuelle, je n’ai pas dit sexuelle, quoique, de ce grand inquiet, cet Existentiel qui « voulai[t] être un vrai dur », toujours en doute sur le monde et surtout sur lui-même. Entre absolue tendresse, colère et autodérision, il établit une véritable connivence dans ce petit théâtre-écrin. Le public raffole des anecdotes de sa vie, des 20 milligrammes de Xanax qu’il s’enfile quand il a le « le sismographe en panique » et « des nœuds dans l’cerveau » au Lire aux chiottes de son enfance, où sa passion pour la lecture lui occasionnait « [d]es fourmis dans l’arrière-train ». Avec quatre autres frères et sœur qui tambourinaient à la porte. Ce qui rappelle bien des souvenirs littéraires à plus d’un.e.
Il semblerait qu’il eût (« Tu es une fleur maléfique / Déjà trop magnifique / Dans tes hésitations textiles ») comme Georges une certaine propension à aimer de jolies fleurs dans une peau de vache.
Ce qui occasionne nombre de chansons de sa déjà longue carrière et discographie, une quinzaine d’années : depuis Rien à te mettre – où une gourgandine s’ingénie à piéger le jeune homme avec toute sa perfidie bien féminine, en se baladant à poil devant lui sous le fallacieux prétexte qu’elle n’a rien à se mettre. Alors que le jeune homme en question lui offre sa peau ! – jusqu’à Ma chère Laura, qui le plante dans un message audio avant de lui laisser le temps de l’aimer : « J’ai pas eu le temps Laura / Mais je te déteste déjà / Et je t’en veux à mort ».
Malgré tout, il fait encore confiance aux femmes pour un Petit adultère, « Je suis ta folie passagère / Ton grand secret, ton autre histoire » sur la si jolie mélodie de Maxime Le Forestier. Ou pour le protéger et le ramener à bon port quand il a un peu trop bu (Marque ton stop que j’tembrasse) avant de trouver La femme de [s]a vie.
Pour les plus fidèles, comme pour les nouveaux admirateurs de l’artiste, ce fut un pur plaisir de découvrir six nouvelles chansons, promesse d’un album à l’automne, qui ont presque toutes comme cadre le Paris 14e du quartier qu’il a en commun, encore une fois, avec Georges Brassens. On y retrouve l’attrait pour les femmes, avec l’humour d’une drague ratée : « Vas-y drague la mère, et moi je drague la fille (…) Laquelle tu préfères ? » ou la tendresse d’une rencontre réussie « Pour qu’on s’embrasse », qui peut devenir particulièrement chaude : « Chloé au lit m’a cloué à corps et à cris ».
Mais surtout Benoît délaisse l’introspection pour l’empathie : pour la Danseuse blessée dont il veut « sauver le ménisque inconnu » (Bon, on ne le change quand même pas, il en tombe raide amoureux). Pour remonter le moral à Paulo, victime lui aussi d’une séparation. Et pour les malheureux de son Quartier de la porte de Vanves, le guitariste obèse, moitié clodo moitié poète, la vieille mendiante, le couple apatride et crasseux : « Je les plains autant qu’ils m’intriguent / Dans leur dénuement familier / Entre leurs zigzags et mézigue il y a un univers entier »...
C’est avec pas moins de quatre rappels, les spectateurs ne voulant plus le laisser partir, que s’achève le spectacle, avec l’incontournable chanson que je regrettais déjà de n’avoir pas réentendue : « Tombe amoureuse / Tu seras folle heureuse et triste / Oh fais-moi confiance, les artistes / C’est des bêtes à chagrin »
Le site de Benoît Dorémus, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Benoît Dorémus, c’est là.
*Titre de l’article emprunté au bon Georges pour un de ses Petits bonheurs posthumes chantés par Maxime Le Forestier.
Benoît est au Festival Rock’Alibi le 6 juin au Passage d’Agen (47) avec Christian Olivier des Têtes raides, Le trottoir d’en face…
Pas encore de vidéos des nouvelles chansons.
Rien à te mettre (2007), en duo avec Renaud à Taratata
Ton petit adultère, audio (2014)
Bêtes à chagrin, clip 2016
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