Eric Frasiak, de Charleville à Bar-le-Duc
5 avril 2019, festival Enchant’Emoi, salle des tilleuls à Viricelles (42),
Chez les amateurs de chanson, le Barisien Eric Frasiak est un ami, un frère. Le revoir n’est jamais redite bien que certains titres soient pour nous devenus des incontournables, presque des hymnes, comme ce Monsieur Boulot, parent sans doute parti pour Singapour comme dirait son collègue Bobin : « Y’avait du boulot et la Meuse était belle ».
Même si la plupart des chansons de ce soir sont récentes, tant que certaines ne sont pas encore gravées, il n’est pas difficile pour Eric Frasiak de puiser dans son répertoire de quoi nourrir sa propre histoire, tant il se fait un devoir de chanter ses origines, sa terre ouvrière. C’est un récital autobiographique comme jamais auquel nous venons d’assister, même s’il manquait quelques titres (comme Bar-le-Duc) dans ce concert écourté pour cause de co-plateau, pour parachever son histoire. Charleville, donc, les copains, les premiers amours : « Le Vieux Moulin s’amuse de la roue qui a tourné / De ces larmes à ma muse, de ma tête en musée / Le “No Man’s land” d’Higelin, Lou Reed ou Hot Tuna / Et je r’vois les copains, je retourne là-bas ».
Récit familial fait d’émotions, comme quand il sillonne de ses vers ce qu’il reste du Jardin de [son] papa : « Si tu voyais l’jardin dans l’état / ça t’f’rait comme du chagrin, du tracas / Tout c’qui pousse de travers, t’aim’rais pas / T’aurais pas laissé faire en tout cas ». Parmi les pousses, de ces graines bien germées, Eric Frasiak qui, sous son chapeau, déborde de tendresse, de souvenirs. La voix est douce et chaleureuse : il transmet, important qu’il est de ne pas oublier, ni les siens, ni ces gens des Ardennes : comment ils étaient, s’aimaient, travaillaient, souffraient.
Autobiographe, quelque peu historien et, à sa manière, chroniqueur politique. Mais le temps d’écrire une chanson, de l’enregistrer, et le paysage a déjà changé ; des têtes tombent, lestées d’affaires ; d’autres émergent, tels des sauveurs. Comme ses prédécesseurs Léo Ferré et François Béranger, Frasiak retouche, réactualise sa cuisine politique aux singuliers ingrédients : « Le banquier du milieu des affaires, de l’artich’ / Réserve son cordon bleu blanc rouge pour les plus riches / En marche contre la crise, le Medef veille au grain / C’est pour qui les queues d’c’rises, c’est pour qui les pépins ? »
Frasiak est homme libre, qui pense ce qu’il chante, et chante ce qu’il pense : « Pas d’eau dans mon vin, pas vendu ma peau / De regrets, aucun, pas trahi, les beaux / Les presque frangins : François et Léo ».
On le sait souvent accompagné sur scène par son complice guitariste Jean-Pierre Farra, parfois en quatuor et c’est grand luxe. Là c’est avec son pianiste Benoît Dangien et c’est pas mal aussi, ça dénote dans les notes.
Au creux de son récit, une autre note de pure émotion, souvenir d’une chanteuse bien trop tôt disparue, Barbara Weldens : « Odeur d’orage / Toi, sur le fil / La vie, la rage / C’est face où pile / De l’eau qui pleure / Sur le pavé / C’est le bonheur / Qui s’est taillé / Comme un éclair / Un courant d’air / Coup de tonnerre / L’amour par terre ». Juré que les applaudissements ont là un goût amer, comme des larmes tombant dans une plaie encore vive.
Ça fait drôle de penser que, inconnu qu’il est et restera du grand public, Frasiak est devenu un grand classique de la chanson, pourvoyeur de titres tous plus émouvants et colériques – c’est selon – que les précédents, tant que chaque millésime est attendu avec ferveur, avec impatience. Le public le sait qui, là encore, lui fait sincère ovation : « Toujours vous êtes là, de l’amour dans l’cœur / C’est comme un cadeau, du bonheur / Bienv’nue dans mes chansons combattantes / Mes aujourd’huis qui chantent ».
Le site d’Eric Frasiak, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Un grand merci Michel…