Qu’est-ce qu’il est bon, Ramon Pipin !
Est-il besoin de présenter Ramon Pipin ? Un rapide sondage effectué auprès de mon entourage m’a hélas fait apparaître l’utilité de la chose. Résignons-nous : artiste culte mais underground il est et il restera, à jamais méconnu du grand public, sauf inattendu retournement de situation ! Ce n’est que si j’évoque le groupe Au bonheur des dames que le visage de mon interlocuteur (pour peu qu’il soit quinquagénaire…) s’illumine enfin. C’est clair : le souvenir du twist endiablé Oh les filles (celles qui rendent marteau) reste vivace. Et qui y avait-il derrière ce combo ? Ramon Pipin. De même qu’il fut la tête pensante d’Odeurs, groupe-culte qui a dynamité son époque avec ses 4 albums (de 1979 à 1983, on bossait dur en ce temps-là, Monsieur !) mêlant humour déjanté et irrévérencieux à une production impeccable. Le nec plus ultra des musicos au service d’une gaudriole punk de bon aloi. La fin du groupe verra notre héros se lancer dans l’aventure solo, mais surtout dans la musique pour le cinéma, la télévision ou la publicité. Détail qui tue : il est le compositeur des Aventures de Gérard Lambert. Rien que ça vous pose un homme.
Or donc, le voici de retour avec un nouvel album, intitulé Qu’est-ce que c’est beau. Titre usurpé ? Certainement pas pour l’objet-même, en tout cas ! Pour un prix modique, vous recevez en effet un magnifique coffret regroupant, outre le CD bien sûr, un livret illustré de 44 pages débordant de paroles de chansons, de photos des comparses et de remerciements émus, et un recueil d’aphorismes richement enluminé par Olivier Legan et nommé judicieusement « Perles à Pipin ». Je ne résiste pas à l’envie de vous en livrer un extrait : Parfois, devant le désarroi du monde, je me sens impuissant. Alors j’écoute un vieux disque de Dylan. Et ça ne change rien…
13 chansons composent le disque. 13 morceaux jubilatoires, où l’auteur s’abandonne sans limite à l’ironie et la dérision. Tout passe à la moulinette de son esprit farceur, à grands coups de sarcasmes bien tournés et de calembours vaseux. Vous voulez de l’auto-parodie ? Ecoutez Anecdote (les stars de rock ont fait des choses extraordinaires, lui se contente de manger une quiche aux lardons avec ses potes !). Vous vous demandez comment fonctionne le show-biz ? Vous serez éclairés avec Eshtë një tavolinë (ou comment ne vexer personne en chantant en albanais !). Vous préférez un truc plus pensé ? Voici Le Club, portrait acerbe d’un membre de Think tank (Ce groupe de réflexion / Me donne la sensation / De pas être un con). A moins que vous souhaitiez visiter le parc d’attractions consacré aux dictateurs (Polpote Park), savourer une tasse d’un délicieux breuvage (Moi je chante le Viandox / Ce jus d’os écrasés), escalader l’arbre génialogique de l’artiste (C’est pas franchement des cons / Les aïeux de Ramon) ou disserter sur les mots de passe (Faut pas oublier / De les sauvegarder / Avec un mot de passe / Pour y accéder) ? Autant de sujets essentiels dont on se demande pourquoi personne ne les avait encore abordés en chanson !
Si l’intention première reste la poilade, pas question toutefois de nous la servir au rabais. Mélodiste hors pair aux goûts éclectiques, Ramon Pipin mitonne ses ambiances aux petits oignons. Sa balade musicale va de la pop mâtinée de classique au rock saignant, en passant par des envolées vocales tout en harmonie, de l’électro énervé, du folk dépouillé ou des rythmes orientaux. Ou comment concilier humour et musique ! En aucune façon la deuxième n’est sacrifiée sur l’autel de la déconnade : band pléthorique, chœurs en pagaille, quatuor à corde sont ainsi de la partie. Ça fourmille de trouvailles, ça grouille de clins d’œil (tant musicaux que textuels, d’ailleurs), ça pétarade de bonheur. C’est simple : imaginez Voulzy qui se prendrait à chanter la gloire de L’Homme du Picardie et vous aurez une idée assez juste du niveau d’exigence de l’album.
Dans le livret, Ramon Pipin précise, avec le second degré dont il ne se départit jamais : « J’ai finalement pu accoucher de cet album en 5 mois, à l’instar de Sgt Pepper, mais pour un résultat cependant beaucoup plus satisfaisant ». J’ignore si Qu’est-ce que c’est beau connaîtra le destin de son illustre prédécesseur. Mais ce serait bien !
Ramon Pipin, Qu’est-ce que c’est beau, Mon salon records, 2018. Le site de Ramon Pipin, c’est ici.
Au Café de la Danse, les 16 et 17 février 2019. Aucune tournée n’est annoncée. Les parisiens sont des chanceux…
Chanson extraite de son album précédent, « Comment éclairer votre intérieur » :
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