Mi fa sol, La Sido
Pour tout bagage on a 20 ans. Ce vers extrait du célèbre Vingt ans du père Léo claque comme un manifeste pour La Sido, six musiciens de jazz réunis autour de la chanteuse Sidonie Dubosc. Dame, c’est que chacun des membres du collectif ne l’a qu’à peine dépassé, ce cap symbolique de la vingtaine ! Sept artistes issus du Conservatoire de Chalon sur Saône, qui osent se lancer, avec la vigueur de la jeunesse et l’assurance de ceux qui n’ont rien à perdre, dans un spectacle consacré aux deux maîtres de la chanson française que sont Boris Vian et Léo Ferré. Avec un disque à la clé, financé par crowdfunding, en guise de carte de visite. C’est gonflé, c’est frais et ça nous plaît.
Voici donc les deux anciens revisités par une bande de clampins même pas sortis de l’œuf lors de leur disparition ! Deux cadors que l’on ne penserait pas, a priori, regrouper dans un même spectacle. Vian, son cynisme désabusé, sa faconde goguenarde, son désespoir poli. Ferré, sa véhémence théâtrale, sa poésie à tendance hermétique, son anarchisme nihiliste. Et pourtant, les morceaux de l’un et de l’autre s’enchaînent et se mêlent sans hiatus, se répondant même parfois de manière détournée et amusante (quand l’un comme l’autre utilise le vieux mot « bath », par exemple). On se rend compte alors que l’humour de l’un (Je suis snob et de Fais-moi mal Johnny) trouve un écho dans le second degré de l’autre (L’idole), tandis que la fougue du 20 ans renvoie à la très belle version chantée à trois voix et a cappella de Je voudrais pas crever.
Deux éléments essentiels viennent en outre lier la sauce : la voix de la chanteuse et les arrangements. Tête pensante du groupe, Sidonie Dubosc fait preuve d’une étonnante maturité pour ses 22 ans. J’avoue mes réticences sur sa manière, pas toujours très fine, de mêler la comédie au chant : faut-il vraiment chanter Je bois comme le ferait un ivrogne au comptoir ou Je suis snob comme une Arielle Dombasle excitée ? Sur scène, on se doute que cela passe la rampe sans gêne aucune, mais sur disque, c’est un poil encombrant… L’artiste, par contre, se révèle épatante de sensualité sur C’est extra, de gouaille sautillante sur Jolie môme, ou de frémissante gravité sur Il n’aurait fallu.
La cohésion du disque trouve également sa source dans le parti pris musical. Car vous ai-je dit qu’il s’agissait de jazz ? Le sextet qui entoure la chanteuse – contrebasse, saxophone, piano, trombone, batterie, trompette et bugle – donne en effet dans la note bleue. Du jazz, du vrai, du pur, non perverti par le pop-rock, mais avec parfois l’un ou l’autre accent cubain. Des orchestrations laissant la part belle aux musiciens. Pas forcément toujours en accord avec la chanson, me semble-t-il (le pont presque enjoué qui vient couper L’affiche rouge peut paraître déplacé eu égard au thème de la chanson et il en désamorce quelque peu la tension), mais le jazz n’est-il pas par excellence la musique de la liberté ?
Pour tout bagage on a 20 ans ravira donc à la fois les amoureux du swing et ceux de la chanson française. Trace enregistrée du spectacle, le disque permettra de patienter jusqu’à ce que l’occasion nous soit donnée d’applaudir La Sido sur scène. Nul doute que c’est le lieu où les chansons pourront véritablement déployer leurs ailes. Espérons dès lors que cette chance puisse nous être offerte un jour ou l’autre.
La Sido, Pour tout bagage on a 20 ans, La Roue voilée, 2018 (en vente sur le site du groupe).
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