Prix Moustaki 2018 : le sacre de Gervaise et de Gatica
D’année en année, le « Moustaki » ne cesse de se bonifier, de gagner en profession- nalisme, pas loin désormais de friser la perfection. Le Prix Georges Moustaki pour être complet, dont ce fut hier la huitième édition, et qui a vu la victoire de Gatica et de Gervaise.
Ils furent plus de 220 au départ, à postuler, 22 retenus en demi-finale, 7 en finale, dans des esthétiques assez différentes les unes des autres, offrant ainsi un panel, certes incomplet, mais intéressant de l’actuelle chanson. Le Moustaki est un prix indépendant, qui d’ailleurs ne concerne que les artistes indépendants. Indépendants des gros labels, donc du pouvoir de l’argent. On peut et on doit considérer le Moustaki comme l’anti-Victoires de la musique, le petit Mickey qui n’a pas peur des gros, l’un de ceux qui vous disent et prouvent que la chanson existe encore et existe bien, qu’elle n’a pas à taire son nom sous d’imbéciles étiquettes qui la nivellent. Autant vous dire que, ni dans les membres du jury ni dans l’assemblée, il n’y a de Varrod ou de Manoukian. Indépendant dans le fond comme dans la forme, vous dis-je.
Sept artistes, dont il faut bien un ou deux gagnants. Pour un jury de 44 personnes, dont nombre de représentants de la presse parisienne. De NosEnchanteurs et d’Hexagone aussi, pour ne citer qu’eux.
Ici pas de catégorie « hommes » et « femmes » qui ne riment pas à grand’chose : les deux concourent dans la même cour. Et, sinon une vérité, au moins une singulière habitude dont il n’existe que peu d’exceptions, les femmes se taillent la part de la lionne.
Il faut dire que, mis à part le lyonnais Mehdi Krüger, en tous points exceptionnel (mais bredouille), les mâles n’ont pas brillé. A tel point qu’on peut se demander comment Denis K et For the hackers, inintéressants au possible, et dont on ne pouvait rien comprendre à des textes rendus inaudibles, ont pu se frayer un chemin dans la sélection finale, prenant ainsi la place à bien plus méritants qu’eux.
Imaginer une joute entre quatre dames : Alysce, Gatica, Gervaise et Carole Masseport. La rumeur disait que c’était plié, affaire déjà faite pour Gatica, la doyenne des quatre, qu’on connaît sur scène depuis des lustres. Je me souviens, pour ma part, de l’avoir applaudi il y a bien 16 ans dans le cadre de la Compagnie du 26 Pinel, c’est dire. Même si elle mérite amplement sa nouvelle récompense, la favorite eut bien du mal face à Gervaise, qui apparaît comme (Krüger excepté) la meilleure performance de la soirée. Car convaincre un jury et une salle en deux chansons seulement est tout un art, qui mérité d’être pensé, travaillé. Venir avec son talent, sa bonne foi et sa seule guitare (ce fut le cas avec Alysce, qu’on emporte avec nous dans notre cœur) ne suffit pas : il faut se surpasser, imaginer comment être le/la seul.e que la mémoire retiendra. Ce ne sont pas les chansons de Gervaise qu’on retiendra, mais sa mise en scène, son audace vamp et kitch, son large décolleté type 95 C aussi qui fut un atout. Et son travail. Objectivement (et là encore, hors Krüger) ce fut de loin la meilleure. Elle se voit récompenser du prix du public ; on dit aussi qu’elle a failli se faire le doublé prix du public/prix du jury.
Krüger donc. Signe des temps, le jury qui a toujours favorisé le sérieux au plus futile, au rigolo, à fait cette fois-ci volte-face. Peut -être que le choix de Mehdi Krüger d’un titre sur les attentats (Une seconde avant l’impact) et d’un autre sur les immigrés de Lampedusa et d’ailleurs (Clandestinée) était trop prégnant, trop douloureux pour le jury et le public. Mais, sans oser dire (ce qui serait ici malvenu) que Krüger fut la bombe de ce 8e Moustaki, il en est le seul vrai élément marquant, même s’il ne gagne au final que l’édition de ses œuvres en livre, financée par un des partenaires du Moustaki.
Autre chose à retenir, en dehors de l’organisation en tous points impeccable (merci Amélie Dumas, Matthias Vincenot et Thierry Cadet !), ce sont les interventions et interviews menées par Philippe Lefait, le monsieur des Mots de minuit. Grands moments d’intelligence, surtout quand l’interlocuteur avait déjà ou de l’humour ou de la hauteur, parfois les deux à la fois. Un bonheur avec Gatica et avec Gervaise, avec Alysce aussi. Avec Mehdi Krüger, nous étions au sommet, entre deux grands lettrés. Rien par contre avec les autres messieurs : quand on n’a rien à chanter, on a rien à dire aussi.
Détail des prix attribués :
Prix du Jury 2018 : Gatica.
Prix du Public 2018, Prix Catalyse : Gervaise.
Sélection du Festi’Scrib : Mehdi Krüger
Sélection du Magazine FrancoFans, sélection de la Team Juliette Solal : For the Hackers
Gervaise, « Plein de questions »
Gatica « Il lui disait »
Mehdi Krüger « Une seconde avant l’impact »
Tout le reportage photographique de Vincent Capraro, c’est ici.
Quelle sévérité pour les 2 malheureux candidats ! Cela dit, le seul finaliste que je connaisse, c’est Mehdi Krüger, qui m’a littéralement subjugué à Stavelot en octobre dernier. Je ne peux donc que me rallier à ton enthousiasme, Michel, en attendant de découvrir les heureuses lauréates.
Les commentaires à mon papier sur la cérémonie du Prix Georges-Moustaki ont soigneusement évité d’être publiés sur NosEnchanteurs, pour privilégier facebook. Des réactions nombreuses, très « corporatistes » (des proches des groupes concernés et des bien-pensants de la profession), qui toutes ou presque s’insurgent. Quand on ne fait pas dans le politiquement correct, on doit s’attendre à de tels cris. Peu importe si le droit à la critique existe, peu importe la liberté de la presse, etc etc…
Alors, je précise. Un groupe qui prétend faire de la chanson française et postule pour un concours de chanson française (pas n’importe lequel, ici, puisqu’il s’agit d’un prix qui porte le nom de Moustaki, ce qui n’est pas rien, il me semble !) se doit a minima d’être audible. Quand pas un mot n’est compréhensible, alors ce groupe ne vaut rien.
Quant à Gervaise, je pense (je le dis aussi dans l’article) qu’elle a mérité ce prix Moustaki. Elle a tout fait pour, dans une prestation parfaite. Tout y a été calculé, même sa tenue, dans un exercice volontairement et délicieusement provoc. Est-ce un crime que de le dire, de le décrire ?
Beaucoup de bruit et de cris pour rien, beaucoup de médiocrité et de haine aussi du côté des réactions. Le politiquement correct fait des ravages. Faut-il définitivement remplacer la moindre critique par un communiqué de presse ? Faut-il une bonne fois pour toute interdire d’avoir un avis, un regard, une sensibilité, et de les exprimer ?