Coko et Danito : 14-18, c’est bon pour le moral
Au générique, excusez du peu : Jean Richepin, Georgius, Vincent Scotto, Gaston Montéhus, Guillaume Apollinaire, Gaston Couté, Eugène Bireau, Ernest Genval… Vous me direz que ça ne nous rajeunit pas, mais tous ont écrit sur les poilus, à l’époque où on ne savait rien de l’épilation. Grosso modo, il y a cent ans. Profitons, s’il en était toutefois besoin, de ce centenaire qui se prolonge telle une interminable tranchée, un puits sans fond, pour célébrer cette nouvelle production de Coko et Danito. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Corentin Coko exhume, déniche des perles de chansons (cf Chansons oubliées 1930-1939) pour parfaire notre éducation et nous refaire nos conduits auditifs abîmés par bien trop de variétés. Là, avec son copain Danito, il coupe les cheveux en quatre de nos pauvres poilus, revisitant de mémorables chansons (La grève des mères, La Butte rouge, Le pinard, La mitrailleuse expliquée, Bleuet…) qu’ils chantent avec une décontraction qui n’est pas incompatible avec la gravité d’usage que parfois, souvent, contrecarre une posture intentionnellement comique. Et pacifiste, soit le genre de chansons que, mis à part l’incontournable Chanson de Craonne, figure obligée de toutes compiles (elle est présente sur ce disque), on tait le plus souvent, y préférant le moindre chant viril et belliqueux : on est des hommes, que diantre, des velus, des poilus, qui avons repris l’Alsace et la Lorraine !
Je dis ça je dis rien mais il m’étonnerait que ce disque ait pu avoir l’estampille officielle de la Mission du Centenaire 14-18 si toutefois il l’avait demandé. Car ce n’est pas ici le discours officiel, le dogme bien établi : ici ce ne sont pas des chants de guerre, de ceux qu’on déclame avec le sourire en offrant son torse à la Grosse Bertha. C’est plutôt le côté démoralisant de la guerre qui est porté en chansons, que les gradés n’aiment pas. Plutôt le peloton d’exécution que la médaille militaire, plutôt la Grève des mères qu’un patriotisme aveugle. Ce disque ne pourra être commercialisé au sein des associations d’Anciens combattants : il sape le moral et propage l’humour et l’ironie, armes fatales s’il en est.
Pour autant ce n’est pas un disque de rigolos mais un regard différent, de l’autre bout de la lorgnette. Un traitement historique, avec les recherches qui sont de mise. Comment tirer d’une masse de chansons de propagande et de haine du boche les perles rares, d’autant plus rares qu’on les cache comme une maladie honteuse, qu’on les censure ? Après trois ans d’exploitation de ce singulier et passionnant répertoire, il manquait dans la besace de Coko et Danito le disque pour les fixer définitivement dans nos mémoires. Le voici. Avec la participation de guest-stars, oh pas des va-t’en guerre non : d’autres pacifistes. Francesca Solleville, Auré, Les Ogres de Barback et Les Croquants. Des va-t’en chansons, de ceux qui aiment à transmettre les émotions, qui savent à quoi sert de chanter. Ce Cri des poilus est un des disques importants de ce centenaire finissant ; mieux : il est essentiel pour être complet.
« Jeune homme / De vingt ans / Qui as vu des choses si affreuses / Que penses-tu des hommes de ton enfance / Tu connais la bravoure et la ruse / Tu as vu la mort en face plus de cent fois tu ne sais pas ce que c’est que la vie / Transmets ton intrépidité / A ceux qui viendront / Après toi » (Guillaume Apollinaire)
Coko et Danito, Le cri du poilu, EPM/Universal 2017. Le site de Coko, c’est là ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’eux, c’est là
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