Mabz, un indien à Aix
Depuis 2017/2018, Le Petit Duc accompagne des artistes en émergence ou des projets nouveaux, que ce soit en résidence sur une ou plusieurs semaines, ou pour quelques jours pour mettre la touche finale à un spectacle.
Nous avons déjà apprécié les multiples talents de Mabz (Martin Béziers) dans le duo Sans Vergogne, Brassens revisité jazz, ses qualités de comédien, de compositeur et de musicien pour Et l’acier s’envole aussi, belle pièce consacrée à la relation épistolaire d’Apollinaire et de Madeleine Pagès. Ces deux créations ayant fait l’objet de très beaux CD.
Déjà fin 2016, Mabz s’était produit dans son répertoire personnel, le mot n’a jamais été aussi juste, textes et musique en quintet de jazz suite à une première résidence à la MJC l’Escale d’Aubagne – malheureusement fermée depuis juin 2017 – où il nous avait interprété une quinzaine de ses compositions. Mabz a reçu en octobre 2017 le Prix de la Chanson de Pierre Delanoë et Claude Lemesle.
C’est dire avec quelle impatience nous attendions sa venue dans sa ville d’Aix-en-Provence, d’autant plus que nous inaugurons avec lui la première captation de spectacle réalisée au Petit Duc. Ce qui a permis la réalisation d’un CD Live de ces chansons stupéfiantes, huitième disque réalisé sous le label Les Brûlants. Au clavier, il est accompagné sur scène par son guitariste fidèle, Rémy Jouffroy, qui lui donnait déjà la réplique au sein de Sans Vergogne.
Stupéfiés, nous le serons. Non pas que nous en restions pétrifiés, bien au contraire. Mais recevoir le cadeau de vingt chansons (dont dix-sept reprises dans le CD) presque toutes nouvelles à nos oreilles, cela fait du bruit ! Quatre ou cinq titres font partie de ses incontournables. Nous avions déjà entendu, et remarqué, L’homme de nulle part autour de quelques notes de Marseillaise (dis)sonnantes, Pour l’enfant entre contestation et espoir, l’érotique Fendue, étendue et son envoûtante mélodie annoncée cette fois-ci par un très beau texte, L’isoloir ; Deux vies, deux amours ou Le valse monde, à elle seule sa profession de foi.
Mabz est saltimbanque, homme orchestre : il manie le porte-voix, porteur de l’appel du muezzin dans La valse syrienne, où jazz et java fusionnent sur des notes de piano endiablées (l’instrument sert aussi de percussions), des détours détonnants et des douceurs surprenantes. C’est d’abord aux dames qu’il s’adresse pour laisser éclore son rêve de paix. Le porte-voix se fera aussi micro de supermarché pour l’annonce « On vend des produits » du Toboggan de la vie, celui qui vous emporte bien trop vite. Le riche mélodica à clavier remplace l’harmonica et l’accordéon, et les percussions sont assurées tant par le piano que le cajón.
Mabz est indien qui s’ignore et pourtant surgit sans cesse, bigarré, fou, rebelle, il marche contre le vent : « Il est bien temps ma mie, d’inventer le présent / Dans un mirage mourant / un nouveau monde respire ». Cet indien, c’est l’étranger de nulle part, tout comme les siens, « Des indiens provençaux / Au-dedans bariolés ». Ou l’enfant qu’il était : « Tout petit déjà, je faisais vieux / Il me restait d’un souvenir / Une plume ou deux ». Quoi de plus émouvant pour sa sœur Jeanne, artiste de théâtre également, présente dans le public, que de recevoir de son frère cet hommage : « Ennemis des premiers temps / Des complices pourtant / Nous ne sommes plus enfants / Mais des indiens triomphants (…) Toujours à faire les clowns / Longo maï pitchoun » (1).
Pour tourner en dérision nos manies et nos addictions, Mabz est clown –larges bretelles sur chemise orange, et parfois un nez rouge – bouffon ou fou du roi, et se rit de nos addictions (Lost on the web) ou de l’intox compétitive et de la télé (Heureusement qu’il y a samedi). La satire peut se faire plus sombre aussi, Dimanche de Novembre où le blues de l’angoisse n’a d’espoir qu’en l’amour, ou A la rue qui évoque quelque part un univers de cinéma muet sur ces notes de piano, entre humour et tragédie : « S’il vous plaît, quelques pièces jaunes / Et si le Roi en perd, en perd, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie (…) Celles-là ne seront pas pour Bernadette ».
Satire, humour et goût de la liberté se marient très bien à la tendresse, pour la petite Gitane, compagne de ses jeux d’enfance, les émouvants Vieux adolescents dont on admire ravis le « sourire rayonnant oublié par le temps » et nos Jardins secrets.
L’écriture est libre, insolite, envolée belle, use de mots insensés ou à triple lecture, à vous de décrypter le jeu ! Mabz vocalise comme le plus chaud des matous ou la plus amoureuse des colombes, joue avec les sonorités, s’abrite derrière elles pour déborder les tabous : « Parée d’un paréo tombant debout / Mon filou fou file au frou frou (…) Rendez-vous rodéo rugueux ou doux / Savoureux goût mon roudoudou » qui fait penser à la fois à Boby Lapointe et à Brassens… On pourrait trouver plus mauvaises références.
L’enregistrement en direct, s’il donne un son moins clair et techniquement parfait qu’en studio, rend mieux compte de la spontanéité et de la fraîcheur d’un spectacle tout en créatives variations jazz. Et s’il vous manque la présence physique de l’artiste, vous pourrez la découvrir sur les multiples vidéos de spectacles que vous trouverez sur la toile.
Vlan ! Les chansons stupéfiantes de Martin Mabz, CD avec livret-textes, Les disques Brûlants (2017) du concert enregistré en direct au Petit Duc à Aix-en-Provence le 19 octobre 2017. Photos et prises de sons© Julien Sayegh. Le site de Mabz, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.
(1) Pourvu que l’enfance dure.
« Les vieux adolescents » Le Petit Duc, 2017
« L’échappée belle » Le Petit Duc, 2017
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