Annick Cisaruk, envies d’en vrac
« Ma mère je m’en vais j’ai quinze ans / Et quinze ans c’est déjà la moitié d’un murmure… » Bribes de vie. Celle de Cisaruk, et d’autres. Une suite de tableaux qui, chaque fois, fixent un lieu, une action, une période de la vie. Des histoires en soi, qui font leur cinéma : tout est dans le détail, les décors, les accessoires, le synopsis, presque le story-board. « Pas de messieurs dans l’enceinte, de bonhommes dans le boudoir ». Ce sont vies de femmes, apparitions et disparitions. Intrigue des mots et pénombre des situations. De possibles aventures mais plus encore de l’émotion : chaque chanson est en soit le début ou le déroulé d’une histoire… ça virevolte au son d’un accordéon osé, gonflé, qui reprend à peine son souffle, épousant au plus près une narration qui se niche dans le moindre détail. Pour vous en donner une idée, il suffit d’un nom, de l’auteur de ces vers qui grouillent comme jamais : Yanowski, celui du Cirque des mirages. L’encre se partage entre le noir et le sépia.
On peut ne connaître Annick Cisaruk que comme comédienne, elle qui fit le Conservatoire, sous la direction notamment de Bluwal, Vitez, Miquel. Qui joua Bertold Brecht, Franck Wedekind, Jean-Pierre Durand, Alfred Jarry, Ahmed Madani et d’autres encore. Mais ce serait ainsi passer sous silence l’admirable chanteuse qu’elle est aussi. Chanteuse depuis longtemps, depuis toujours, depuis les couloirs du métro qu’elle hantait et enchantait pour subvenir à ses besoins, pendant qu’elle se formait à la scène. En 1983, Annick Cisaruk aborde Brecht sur deux fronts : au théâtre où elle est Polly dans L’opéra de quat’sous, à la chanson où elle interprète un tour de chant : Song’s de Brecht. Puis se met en bouche des poèmes d’Aragon mis en musique par Ferré, du Boris Vian, du Barbara, du Léo Ferré lui-même…
Annick Cisaruk travaille et vit depuis nombre d’années avec l’accordéoniste David Venitucci. C’est d’ailleurs avec lui qu’elle a créé et enregistré le « Léo Ferré, l’âge d’or » et le « chante Barbara ». Les voir se produire ensemble est une évidence, tant la complicité les unit. Complicité qui se poursuit par cette Vie en vrac, où intervient ce troisième et singulier larron, ce Yanowski. « Ma première rencontre avec Annick Cisaruk et David Venitucci remonte maintenant à une dizaine d’années. La proximité de nos univers, une sensibilité commune nous confortèrent aussitôt dans l’idée que nous serions amenés à travailler un jour ou l’autre ensemble. Les saisons passèrent, et nous gardions toujours secrètement cette certitude. Lorsqu’Annick me suggéra, il y a quelques mois, de lui écrire une ou deux chansons pour un futur tour de chant, je fus ravi, mais insatisfait. » De fait, ce ne sont ni deux ni trois chansons que Yanowski fournit mais tout un spectacle, une logique, presque une logistique. Une ambiance où le glauque, l’intrigue et le poisseux ne sont jamais loin. Des serpents des oiseaux des figures, des araignées fleuries grimpent sur les murs…
Vous avez là quatorze titres que vous pouvez chacun apprécier pour ce qu’ils sont, indépendamment l’un de l’autre. Que des bijoux de mots et de notes, d’interprétation : une vraie réussite. Et les prendre pour le tout qu’ils forment au bout du compte : vous y serez passés par tous les états, les joies et les drames, la surprise et la peur. Ni Cisaruk ni Venitucci, moins encore Yanowski ne vous auront ménagés. C’est un spectacle et c’est lui que nous vous recommandons. Par défaut, achetez-vous ce précieux album qui le restitue si bien, dans tous ses pleins et déliés. Si Cisaruk chante qu’on ne peut saisir la vie et ses rêves en vrac, cet enregistrement les a étonnement captés pour nous les restituer.
David Venitucci, Annick Cisaruk, La vie en vrac, EPM/MCA Universal 2017. Le site d’Annick Cisaruk, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
Ce superbe article et les extraits du spectacle donnent vraiment envie de le découvrir sur scène.