Avignon Off 2017. Didier Gustin : Claude Nougaro, cent voix en l’air !
Si l’oeuvre de Nougaro continue inlassablement de me toucher par toutes les entrées de mon âme et par chacun des pores de mon corps, c’est vraisemblable- ment parce qu’il a écrit, articulé et interprété, avec une sensuelle adéquation de la forme au fond, comme très peu de ses semblables si différents. Mais, aussi, parce qu’il a su transfigurer ses sensations avec un choix d’images ô combien subversives, licencieuses et parlantes. Et Nougaro persiste donc à me causer, même par la voix de transfuges aux talents inégaux. Mais, en cette journée caniculaire avignonnaise, j’ai décidé d’aller me rafraîchir à une source nougaresque plus que « des alter hantent ». Et grand bien m’en a pris…
Et la première des fontaines choisies l’a été par pure soif de curiosité. Car Ah, tu verras ! est de et avec Didier Gustin. En voyant resurgir ce nom des limbes de ma mémoire, souvenirs d’il y a une vingtaine d’années sur France Inter, je me suis dit « Tiens… pourquoi pas ?… » En effet, j’essaye toujours de ne pas me faire avoir par les a priori et les préjugés quels qu’ils puissent être, afin de laisser leur chance aux propositions que le destin met en travers de ma route. Et comme celle-là était manifestement basée sur le répertoire du petit taureau, j’en eus immédiatement le whisky à la bouche. Je m’installe donc dans le petit Théâtre des Vents avec envie et gourmandise. Et d’emblée, je suis pris par l’ambiance. Car Didier Gustin, en vieux routier du ludic-hall (cela fait près de 40 ans qu’il y roule sa bosse), connait toutes les ficelles (et cordes vocales) et sait nous prendre par la main pour nous entraîner dans ses désirs et délires les plus parlants et les plus chantants. Et son fil conducteur provient (comme souvent chez lui) d’un rêve.
Mais, chez Gustin, le rêve ne sait pas rester à sa place. Il se fait donc un point d’honneur à le transformer en réalité. Pour pouvoir en faire profiter les autres. Car il a cette générosité-là ancrée en lui, le Didier : enfant de la balle (il invente, crée, recrée, chante, imite,… depuis l’âge de douze ans), il n’a de cesse de la prendre au bond pour la passer à ses contemporains. Et tank à fer, avec la voix d’un autre. Avec la voix de cent autres devrais-je écrire, tant son talent d’imitateur est grand. Car, à la façon d’un caricaturiste qui, d’un seul trait, parvient à nous dessiner un personnage illico reconnaissable, Didier Gustin peut, dès le premier mot, et d’un seul geste, nous faire voir et entendre celui qu’il croque avec amour. Car il est manifeste qu’il les aime, toutes ces célébrités qu’il entraîne là avec lui dans ses pérégrinations nougaresques. Que ce soit Johnny dans Quatre boules de cuir, Patrick Sébastien irrésistible avec Cécile, ma fille ou Aznavour touchant dans Le jazz et la java, l’imitateur ne fait pas que prendre la voix et l’apparence du concerné. Non, il campe ses « souffre-doux leurres » dans des chansons qui leur convient tellement (ou, au contraire, si peu : voir Vincent Delerm, juste après Joey Starr, dans Sing Sing Song, est une sacrée idée).
Mais, revenons plutôt à son rêve. Car le principe de ce spectacle vient de Nougaro lui-même, apparu dans un songe de Gustin. Et lui demandant de faire rejaillir sa source d’inspiration. Parce que Claude n’est pas juste le fruit d’une rencontre nocturne. Mais, bel et bien, le premier artiste connu et reconnu à être allé voir le jeune Didier, qui se lançait alors, au Sentier des Halles, à Paris. Et à lui avoir dit après cette représentation, avec son reconnaissable accent de rocaille « Gustin, tu as trouvé quelque chose. Maintenant, il te faut creuser… ». Et c’est donc ce que s’est employé à faire le jeune homme d’alors. Mais, quand le succès a pointé le bout de son nez (galas, radio, télévision,…), sa volonté créatrice s’est peu à peu estompée au profit de facilités compréhensibles, mais sources d’assèchement. Et puis, 10 ans après ce premier pied à l’étrier, la deuxième rencontre se fait dans un studio d’Inter où Gustin est en train de répéter. Nougaro descend l’escalier et lui dit « Gustin, qu’as-tu fait de tout ce temps ?… »
Et c’est aussi ce qu’on peut se demander, tant le blond imitateur avait disparu de nos radars depuis belle lurette. Mais, il faut bien avouer que le retrouver, avec cette idée d’un hommage rendu par une cinquantaine de voix ô combien reconnaissables, dans le cadre d’une histoire qui tient vraiment la route, s’avère être une véritable « réveillation », pour le taré de Nougaro que je suis. Bon… je vais juste bémoliser ce ressenti flatteur, par une appréciation plus mitigée, sur le petit passage vidéo, durant lequel Gustin fait parler de Claude par des comédiens comme Gabin, Galabru ou Serraut. Ce qui, selon moi, n’apporte pas grand-chose à un spectacle qui s’avère être de haute volée, de par les autres paramètres qui le composent.
Parce qu’il est hors de question d’occulter la présence magnifique des deux musiciens qui participent de ce concert de « loue anges ». Le vieux complice guitariste de Gustin, Laurent Roubach, apporte ses notes rock et blues aux moments opportuns et on le sent loin d’être lassé par les élucubrations de son pote. Mais, mon illumination est également due à la prestation de Hugo Dessauge, arrangeur génial et superbe pianiste de 25 ans, qui fait en sorte que les ambiances jonasziennes, gainsbourgeoises ou bashungiennes offrent à ce spectacle-hommage réussi des couleurs stylistiques fort reconnaissables.
En fait, en sortant de ce pur moment de plaisir (qui a bien eu raison de ne pas se bouder), une idée m’a caressé l’esprit : quelle bonne idée ce serait que de proposer ce type de divertissement (car c’en est véritablement un de grande qualité) en prime-time à la télévision. Car, si éclats de rire, frissons, voire quelques perles de pluie (qui font des claquettes à la Mathieu Chédid) ne m’ont jamais fait oublier la beauté des chansons de Nougaro, ces sensations touchantes me les ont fait redécouvrir autrement, avec bonheur. Et il y a encore tant d’autres belles idées qui jalonnent cette grosse heure de plaisir ! Mais, ma pudeur, doublée de ma sollicitude à votre égard, fait que je préfère vous laisser le plaisir de découvrir cette très jolie proposition, qui va s’installer au Théâtre de l’Archipel, à Paris, à la rentrée (de mi-septembre à janvier 2018) et ce, à raison de trois soirs par semaine. Vous pourrez alors vous rendre compte par vous-même que, par la grâce de Didier Gustin et de ses acolytes (réels ou virtuels), la fontaine du grand Claude ne se tarira pas de sitôt. Et ça, c’est pas d’hommage…
Ah tu verras ! par Didier Gustin – Théâtre des Vents (63 rue Guillaume-Puy) tous les jours à 17h15.
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