Henri Salvador, 100 ans aujourd’hui, mais ça s’entend pas beaucoup
Sauf cécité, il ne me semble pas avoir vu beaucoup de disques de Salvador ni de bouquins sur lui ces temps-ci. Sauf surdité, pas entendu grand’chose non plus chez radios et télés. Quand je pense à l’engouement commercial qui entoure certaines commémorations (à vous écœurer par avance de Barbara pour pas mal de temps), je me dis que l’industrie discographique et les éditeurs la jouent petit bras quant à Henri Salvador. Il y a des jours où la salve dort. Peut-être que l’Henri a définitivement cessé de nous être nécessaire, rejoignant ainsi ses copains Montand, Lemarque, Mouloudji, Bécaud et autres qu’on ne célèbre guère, qu’on n’anniversaire plus, comme s’ils étaient d’une époque révolue. Soixante-quatorze ans de carrière et, neuf ans après sa disparition, c’est le presque oubli de celui qui, selon Bertrand Dicale, fut « à la fois Nat King Cole et Carlos ». La mémoire collective est cruelle, activée par des médias qui ringardisent aussi vite qu’ils consacrent, qui efface des radars des pans entiers de notre patrimoine. Salvador ne nous parlerait-il plus, lui qui nous a tant enchanté ?
C’est un 18 juillet 1917 qu’est né Henri Salvador. A Cayenne précisément, d’où son œuvre doucement pimentée. Cet ancien Collégien de Ray Ventura passe d’abord par la case Brésil où, profitant d’une tournée, il reste quatre ans, le temps d’y devenir vedette. Puis rentre en France et s’y fait connaître comme chanteur créole. Pluie de tubes (Clopin-clopant, Maladie d’amour, Le loup la biche et le chevalier…) et déploiement de tous ses talents. En 1956, avec la complicité de Boris Vian avec qui il écrit des centaines de titres dans un peu tous les styles, il s’affuble du pseudo d’Henry Cording (comme… recording) et devient un des précurseurs du rock venu des Etats-Unis dont il interprète des airs en français.
L’histoire d’Henri Salvador est pléthorique, comme l’est sa discographie dont on aura du mal à extraire des titres tant ils sont nombreux : Faut rigoler, Le travail c’est la santé, Minnie petite souris, Le lion est mort ce soir…
A quelque époque où on a fait connaissance avec Salvador, on se souvient de sa bouille ronde, de ses éclats de rire ou de ses pleurs, de ses chansons douces ou de ses pitreries, de ses sketches et émissions télévisées (Salves d’or, Dimanche Salvador), de ses Disney. Qui n’a pas été attendri par Syracuse ou par cette « chanson douce que me chantait ma maman… » ? Pas une génération n’a pas eu son Salvador. Sauf peut-être une courte décennie, celles des années quatre-vingt dix où, à la suite du bide d’un disque, Monsieur Henri, au rock énergique (qui lui est imposé par sa maison de disque), il prend sa retraite pour ne plus se consacrer qu’aux boules, son sport préféré. Mais Keren Ann et Benjamin Biolay (c’est con que Biolay crache à présent sur la tombe de Salvador…) le sortent de sa torpeur, lui proposant le disque du retour, ce nouveau souffle, cette seconde carrière totalement inespérée. C’est Chambre avec vue, en 2000, qui se vend à plus d’un million de copies. Suivrons Ma chère et tendre et Révérence, l’un en 2003, l’autre en 2006. Des albums comme un retour aux sources, à ses faces B d’antan, à ce qui est l’essence de son art.
Henri Salvador, Crooner Jazzy, 4 CD, EPM 2017.
Qui n’a pas son propre Salvador ? Merci Michel, la mémoire est sélective, surtout celle des grands médias…