Gauvain Sers : des chansons qu’on écoute et qu’on regarde
On croyait l’espèce en « voix » d’extinction, et voilà qu’avec ses 27 balais et son béret de velours, un Gavroche creusois nous balance un album (son premier) qui crée l’événement. La beauté du flacon n’excluant pas l’ivresse, l’écrin est délicieusement illustré par de belles photos du très talentueux Franck Loriou : on se plaira à longuement feuilleter les livrets (deux pour le prix d’un !), palper l’objet avant d’en extraire le nectar.
Il n’aura pas fallu longtemps à Gauvain Sers pour convaincre le public. Il y a un an déjà, son succès nous semblait évident : une écriture aboutie, des textes tendres et engagés, une poésie sociale, de l’humour et de la finesse. Pas étonnant que les chansons du jeune homme aient fait craquer un chanteur « toujours vivant, toujours debout ». Si Gauvain assume fièrement sa filiation artistique et son affection pour le Renard du 14e, il n’en possède pas moins son propre univers, nourri de chansons françaises dès l’enfance : Dans la bagnole de mon père, ça se fritait à l’arrière entre frangins mais ce petit monde se réconciliait vite autour des cassettes de Brel, Ferrat, Brassens et Leprest… Gauvain possède la sensibilité artistique et la singularité des grands. C’est clair dès le premier titre, Pourvu, une déclaration d’amour en forme d’incantation par laquelle, avec humilité, il espère que sa belle ne le trouve pas ridicule et qu’elle partage ses valeurs « Pourvu qu’elle ait l’sens de l’amour et qu’on ait pas d’chagrin d’humour ». L’amour qu’il porte à sa Clo’ est aussi tendrement évoqué « Quand elle appelle sa mère / C’est rar’ment éphémère / J’peux faire un marathon / Ou écrire cinq chansons ».
« Comme il est touchant Daroussin » : Sers ne cache pas sa passion pour le cinéma. « Pourvu qu’elle pianote le matin la BO d’Amélie Poulain… » Jean-Pierre Jeunet en aura sûrement été très touché pour qu’il lui fasse l’honneur de tourner le clip de la chanson. La plume de Gauvain c’est de la poésie à la Carné /Prévert dans Les enfants du paradis. C’est la focale grand angle d’un Doisneau sur le quotidien difficile de la vie des gens simples, à la ville, avec la galerie de personnages rencontrés « dans le ventre du bus 96 » ou à la campagne, avec le très touchant Sur ton tracteur. Ce quotidien parfois cruel, Gauvain nous le rend plus doux en chansons, avec humour et sans angélisme. Bien au contraire, cette poésie du réel est un acte de résistance politique contre l’injustice sociale. Ce « clodo sur toute la ligne » enfermé dans le drame de sa solitude prend les couloirs du métro pour son appartement : « Mais j’ai du monde qui passe me voir, j’ai plus aucune intimité ». L’engagement se poursuit contre la haine et l’exclusion et prend tout son sens avec ce brûlot anti FN, Hénin-Beaumont : « Comme si l’chômage à vingt pour cent rendait la bêtise transmissible ». Enfin, c’est la gorge nouée que l’on refait avec lui cette marche historique, Entre République et Nation. Au bord des larmes, on voudra l’impossible, consoler cette maman effondrée de Mon fils est parti au Djihad. Si les sujets abordés sont parfois graves, profonds et universels, l’humour, l’amour de la vie, l’espoir et la joie restent toujours au premier plan. C’est sur scène, accompagné par son ami guitariste Martial Bort, que vous prendrez toute la mesure de l’humanité et de la simplicité de cet artiste qui n’a pas fini de nous surprendre…
Le site de Gauvain Sers, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Des photos de Gauvain Sers par Vincent Capraro : à voir ici.
L’occasion aussi de retrouver ce petit bijou qu’est « Mon rameau », co-écrit avec Clio qui la chante ici en duo avec notre creusois…
Tu as parfaitement raison Patrick pour me faire pardonner voici ce très beau texte
MON RAMEAU
J’peux pas bouger, je suis déçu
J’ai toujours du monde plein les pattes
Des étudiants me grimpent dessus
Sans aucun diplôme d’acrobate
Une petite vieille qui les regarde
Se demande que fait la police
Sans remarquer qu’à l’avant-garde
Le grand frisé, c’est son p’tit fils
La serveuse a laissé ses tasses
Et me regarde en souriant
Elle a rendez-vous sur la place
Avec son tout nouvel amant
Y’a le clodo du coin aussi
Quand il a terminé sa bière
Qui pour me tenir compagnie
S’en vient pisser sur mon parterre
Même en hiver, je ne crains rien
J’ai toujours mon bonnet phrygien
Et puis cette foule que j’vois d’en haut
Quand elle m’entoure, ça me tient chaud
Ça fait cent ans que je contemple
Ceux qui arrivent de rue du temple
Et ça fourmille et ça galope
Et ça s’embrasse, ça grille des clopes
Y’a des skaters qui viennent squatter
Y’a des photos qui sont ratées
Et y’a des militants partout
Maintenant, des militaires surtout
Le jour où l’orage a frappé
Moi j’étais aux premières loges
J’ai entendu Paris pleurer
Et j’ai tremblé dessous ma toge
Il y en a pour me consoler
Qui viennent allumer des bougies
Au moins ça me réchauffe les pieds
Et ça éclaire un peu mes nuits
Ils viennent me chanter des chansons
Et me veiller pendant des heures
Ils m’ont tricoté un blouson
Avec des drapeaux et des fleurs
Un homme s’en prend au journaliste
Qui l’interroge pour BFM
“ Vous voyez bien que je suis triste
Respectez-moi un peu quand même”
“ Non mais monsieur j’fais mon métier
J’suis à l’antenne dans un quart d’heure
Et moi aussi, j’suis effondré”
Dit-il en piétinant les fleurs
Et puis près du kiosque à journaux
Une petite voix s’installe
« Papa ! Papa ! Regarde en haut,
La dame elle montre les étoiles ! »
Moi qui n’avais plus le moral
Moi qui déplorais tout d’en haut
J’avais même pas vu les étoiles
Là juste au bout de mon rameau
J’avais même pas vu les étoiles
Là juste au bout de mon rameau
J’avais même pas vu les étoiles
Là juste au bout de mon rameau