Nicolas Jules, noyé sous le bleu des libellules
Ceux qui prennent Nicolas Jules pour un histrion pourront être surpris (désarçonnés ?). Les autres ont déjà deviné la profonde mélancolie cachée sous la blague potache, la bizarrerie de la lubie ; il n’est que d’écouter Une sale odeur ou J’aime la vie à mort.
Avec Crève-silence il réalise un album très différent des précédents, d’une cohérence noire absolue sur ses douze titres. Mais aussi, par son vocabulaire poétique, un opus totalement « nicolajulien » : « Mes tibias courent / Sur le tambour / De ta rue louche / Le diable est à / Mes trousses », la fulgurance des mots assemblés (« Je cherchais (…) la poulie pour mon cœur »), par ses identifiables rythmes musicaux, encore ralentis, amplifiés.
Par son thème aussi, car Nicolas Jules a déjà fait beaucoup de chansons d’amour. Mais si parfois la fantaisie d’un Brechallune, ou la sensualité, éclairaient les amours aléatoires, ici les masques tombent, l’artiste n’hésite plus à gratter au cœur de l’intime, à se livrer tout entier sans faux-semblant. L’humour s’absente, la satire aussi, l’amoureux ne se venge pas, n’accuse pas de mille défauts celle-là, « une fille de fuite ». Il décline les affres de la rupture amoureuse et nous souffrons somptueusement avec lui.
Glas de métal dissonant, voix sans couleur, l’Ambiance est mise dès le premier titre dans un port, lieu de départ, de retour, et espoir : « Que la danse / Me reprendrait par les g’noux ». Se plombe dans L’eau noire de la douleur, d’une beauté sépulcrale. Nicolas Jules reste dans le souvenir des moments perdus, « Je préférais avant / Tes galops de jument / Indomptable », dans la hantise de l’indifférence et de l’incompréhension, « La flèche de mes mots / Savoir si tu étais trop petite / Ou bien si je visais trop haut », dans l’obsession de l’absence. Sidéré, il se sent armé d’« une épée de carton » ou d’un « fusil à bouchon », perdu comme un animal. Hachés comme le cœur de sa belle, les vers se brisent en leur milieu, font rupture, tachycardent son cœur serré.
Le son est à l’avenant, profond, avec rondes, cavalcades et changements de rythme, pour un rock sombre, rugueux, métallique qui n’hésite pas à mêler claviers, orgues, chœurs et violoncelle, aux guitares et percussions. Ses complices habituels l’accompagnent, le musicien Clément Petit qui a aussi réalisé l’album, et le batteur Roland Bourbon, qui sait se faire léger (écoutez Joconde) tout autant qu’envoyer batteries lourdes et répétitives, entêtantes. Les silences y sont encore musique, encore douleurs.
S’y ajoutent en invités Alex Finkin aux orgues discrets et profonds, et Béatrice Gréa, qui a lâché sa contrebasse pour incarner la voix du Faon : « Je suis le sang / Je suis la chair / Je suis un faon / Une biche dans le bois ». Sa voix sans effet sur un fond presque disco, crée la distance nécessaire avec les paroles qui s’affolent : « Dans la nuit obscène / Hurlent les sirènes / Tu fermes la digue / Hurle mon cerveau », créant une respiration en milieu d’album.
Selon les chansons, la voix, qui n’a jamais été aussi grave et profonde, se fait douce pour évoquer Les chiens « gardiens de ton cœur », s’éteint pour dénoncer l’indifférence, reprend de la force pour faire surgir une petite flamme tremblotante : « Pour toi je laisse allumé / Le dernier étage de mes pensées ». S’échappe en cri sur Bestioles, et transforme l’air quasi-dansant de Sans toi, ou robotique grinçant du Dernier étage en chants désespérés. Qui sont, comme on le sait, les chants les plus beaux.
Nicolas Jules, Crève-silence, autoproduit/L’autre distribution 2017. Le site de Nicolas Jules, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. En concert en solo le 12 mai 2017 à Joué-Les-Tours, le 13 mai à Melle avec Bancal Chéri, les 17, 18 & 19 mai au Bijou à Toulouse avec Cinq… Puis du 7 au 30 juillet en trio à l’Arrache-Cœur au Off d’Avignon.
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