Faut-il encore chanter Renaud ? Bobin et Gaillard prouvent que oui
2 avril 2017, Scènes en Forez, Maison de la commune à Feurs,
Ils ont l’âge des artères de celui qui fut, non forcément leur idole, un compagnon de vie. Avoir eu vingt ans quand il chantait Hexagone, ça vous fait bien dans les soixante à présent. Y’en a un p’tit peu plus, m’sieur dame, j’vous le laisse ? C’est ce public-là qui est présent et aucun autre, pas un jeune, pas un. Pas un de ceux qui bondent et blindent les Zéniths de ce chanteur triomphant mais finissant qui, pour l’heure, se consomme et se consume, nouveau culte païen, veau d’or commercial dont on ne comprend plus le traître mot.
Là, ils sont trois sur scène à se faire « envoyés spécials chez Renaud », non forcément un travail d’investigation mais de mémoire, d’émotion. De rébellion, encore. Il y a deux chanteurs lyonnais qu’ici nous connaissons, que nous aimons. François Gaillard et Frédéric Bobin. Et Pierre-Louis Lanier, en récitant, qui nous lit des pages de Renaud, banales tranches de vie en langage Séchan, pas encore sec.
Tentures rouges pour seul décor de scène, et un fauteuil pour le récitant. Pas de photo géante de Renaud, rien : on ne commémore pas. On vit. Toutes les chansons, toutes, sont du siècle passé. C’est pour dire, la plus récente c’est Son bleu. La plupart sentent le cuir du blouson, la bière et les bastons. Si ce n’est à l’époque des Mistral gagnant, peu se hasardent dans l’intime, dans la vie de famille. Un peu comme Ange, jadis, qui parmi Ces gens-là n ’avait osé toucher à Frida. Respect.
Comment est-ce du Renaud sans Renaud ? Le goût du Pastis sans alcool, d’un pétard sans cette herbe qui fait rire et planer ? Vous aurez du mal à me croire : c’est mieux encore ! Ici, on ne déchiffre pas les chansons, on les écoute, on les apprécie. Pas d’haleine fétide, pas de bouche-à-bouche. Ici on n’accompagne pas un malade en fin de vie : on vit, on se fait plaisir. Et putain que c’est bon ! Le talent que l’on sait de Bobin et de Gaillard appliqué aux titres de Renaud, ça vous requinque une œuvre, lui redonne des couleurs et du sens..
Chaque chanson vous dit le grand écart avec celui qui désormais roule des pelles aux flics : « Les zonards qui sont là vont s’faire lyncher sûrement / S’ils continuent à dire que les flics assassinent » (Les charognards), « Je te raconte même ce qui pensait des flics » (Oscar), « La France est un pays de flics… » (Hexagone)… Chaque chanson vous dit aussi le grand écart électoral de celui qui, il y a peu, fit les yeux doux au sinistré de Sablé-sur-Sarthe : « Tu dis que si les élections / Ça changeait vraiment la vie / Y a un bout de temps, mon colon / Que voter ça serait interdit ! » (C’est quand qu’on va où ?), « S’en allant voter par millions / Pour l’ordre et la sécurité » (Hexagone), « Et dire que chaque fois que nous votions pour eux / Nous faisions taire en nous ce cri, ni dieu ni maître ! / Dont ils rient à présent puisqu’ils se sont fait dieux / Et qu’une fois de plus nous nous sommes fait mettre » (Le tango des élus).
A défaut d’être bonnes pour l’Académie, les chansons de Renaud sont de toute beauté. L’éclairage que donnent ici Gaillard et Bobin (et d’autres et fameux repreneurs comme les Licenciés de chez Renaud ou Olivier Trévidy, dont NosEnchanteurs vous a déjà parlé), deux voix certes différentes mais qui travaillent pareillement dans la fougue et l’émotion, est utile, est salutaire. Car, même s’il n’y a rien de plus énervant que ce chanteur qui l’est enfin (énervant, oui, et de moins en moins chanteur), il ne faut pas jeter à la fois Renaud et l’eau du bain. Il nous faut chanter Renaud, même malgré lui, qui désormais nuit à ses propres chansons. Au risque de me mettre aussi à dos les gardiens du temple Chanson, de me faire excommunier, l’oeuvre de Renaud est aussi respectable et importante que celles de Brassens ou de Ferré. Paradoxalement, pour avoir encore du sens, elle doit désormais vivre sans lui.
Le site de Frédéric Bobin, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Le site de François Gaillard, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lu, c’est là. Et ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Renaud, c’est là.
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