Le billet de train de Dick Annegarn…
A cette époque-là, il avait, hasard extraordinaire, son clone de papier, croqué par Cabu : ce grand Duduche dodelinant, grand et maigre, petites lunettes rondes, jean et baskets, cheveux blonds… Pareil pour Dick Annegarn, grand échalas chantant, un peu paumé dans un monde si différent de lui. Hollandais vivant pour l’heure à Bruxelles, le jeune Annegarn prend le train pour Paris, là où « une nouvelle chanson arrivait : Higelin, Claude Nougaro, Marcel Dadi… » Dick n’envisage rien dans la chanson, ni disques ni carrière : il a juste, grand luxe, une année à perdre. Un de ses amis, ça tombe bien, a un pied-à-terre à Paris : « J’ai passé un week-end qui a duré quelques mois ». Dans la Capitale, l’excellent guitariste qu’il est reprend des standards américains, fait pas mal d’autres découvertes, s’imprègne de jazz. Et se constitue un répertoire français « pour tourner quelques mois en France » puis repartir : « Trenet chante « Madame, vous oubliez votre cheval ! », j’en ai fait « Ah ce qu’on est bien dans ce jardin ! » J’ai réalisé des commandes que je me suis passées à moi-même. La musique du refrain d’ « Ubu » est inspirée de « Valentine » de Maurice Chevalier. » Il chante ici et là et ça se remarque. Maxime Le Forestier a repéré cet olibrius et le présente à Jacques Bedos, directeur artistique chez Polydor. Nous sommes en 1973. Devant Bedos, Dick interprète Bruxelles. Silence, Bedos réfléchit. Et temporise : « On va voir… » « Comment, on va voir ? fait mine de s’insurger Annegarn. J’ai mon billet de train. Il est valable trois jours, il me faut un contrat dans trois jours, le disque dans trois mois et un contrat de trois ans, sinon je rentre à Bruxelles, ça en m’intéresse pas. » Dick bluffe : il n’avait pas de billet de train…
Peu ou prou, vous connaissez la suite. Mais sans doute pas vraiment. L’autobiographie de Dick Annegarn est en exergue de son livre « Paroles » : l’intégrale de ses presque deux-cent textes, dilués dans l’ordre alphabétique. La partie « bio » est partagée, en guise d’introduction, sous forme d’interview, avec Olivier Bailly. Et c’est passionnant, vivant, nerveux, trépidant. Il y a quelques mois, Dick Annegarn a sorti un nouvel album, « Folk talk » (toujours chez Tôt ou tard), où il retourne aux origines de son art, ses fondamentaux à lui, reprenant ces fameux standards américains. C’est dire si ce livre fait écho. Un beau livre du reste, au papier soyeux, au format sympa, pavé qui tient bien en mains. Qui donne envie de se replonger dans tout Dick Annegarn, dans ce qui est connu (Ubu, L’institutrice, Bébé éléphant, Mireille, La transformation, Le grand dîner, Albert…) bien sûr, et dans tout le reste, dans son métier de chanteur et ses ruptures, son statut qui, au fil des ans, est devenu sa stature.
Dick Annegarn (et Olivier Bailly), « Paroles », 2011, collection Ecrits aux éditions Le Mot et le reste ; le site de Dick Annegarn.
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