Samuel Leroy : « Bernique ! », tout un programme… de concert
Quand on met sur la platine le troisième disque de Samuel Leroy qui vient de sortir, on est d’abord embarqué par la voix et les mélodies qui aiguillent sur les mots. Et, de chanson en chanson, on a l’impression qu’il invite l’auditeur au filage d’un concert, selon un conducteur précis. C’est sûrement une volonté de sa part (le connaissant, je sais qu’il ne laisse rien au hasard) d’utiliser dans le CD quelques procédés de scène : chutes musicales, (rares) commentaires, ou ruptures d’ambiances et de ton. Il y a même une chanson bien trash pour présenter les musiciens, et un rappel aussi émouvant qu’imprévu !
Alors qu’y a-t-il dans ce programme ? Toute la palette des potentialités de cet art qu’est la chanson, depuis le franc délire de jeux de mots bien cadrés (C’était juste pour vous dire que), jusqu’à la réflexion sur la liberté en filigrane d’une histoire banale (La valse de Léon) en passant par l’émotion profonde provoquée par l’évocation d’une vie (Petite Babouchka). Car Samuel aime brouiller les cartes et avancer masqué derrière une bonhomie inhérente à sa rondeur naturelle. Toutes ses plages s’entendent sans problème au premier degré, il raconte des histoires, dresse des portraits de personnes ou de lieux ou encore s’amuse franchement en débitant quelques misogynes horreurs ! Mais il ne faut pas s’y fier, elles s’écoutent aussi au second degré, comme l’y invite la chanson d’entrée Bernique ! qui justement donne son titre à l’album : ces vieilles photos retrouvées rappellent les ambitieux projets enlisés dans les galères de la lutte pour la survie dans le métier d’artiste (le citoyen sait de quoi il parle avec plus de quinze ans de trajectoire dans la chanson, la chasse aux dates de spectacles et juste trois disques enregistrés à l’économie !). Il en est de même pour l’épouvantable Je chipote qui énumère en creux tous les arguments qui permettent de qualifier un affreux macho. Dans la lignée de Madeleine de Jacques Brel, J’aime traîner dans les gares décrit l’acharnement de celui qui espère… et attend, et Entre République et Palais Royal l’échec de qui ne sait pas choisir. Quant à l’émotion, elle surgit, derrière le rire avec L’amant de ma femme à prendre complètement à contre-pied, derrière l’œuvre d’art et son devenir (Les mots de Cocteau et J’ai peint) ou brute de décoffrage avec l’évocation d’Ivergny son village d’enfance, ordinaire dans le regard des autres, exceptionnel pour lui.
Par ses textes bien tournés, ses musiques toujours entraînantes ou envoûtantes, les accompagnements pertinents, sa voix chaude et son léger accent septentrional et aussi par la mise en espace de ce disque, Samuel Leroy se montre lucide : il démonte toutes les facilités possibles de la chanson, et au contraire nous introduit avec habileté dans ce qu’elle a de meilleur : la capacité de faire rire ou sourire, de toucher, de provoquer l’empathie et surtout de faire réfléchir et d’en avoir une lecture secondaire. Ce n’est pas son moindre mérite et avec tant de qualités on s’étonne qu’il n’ait pas plus de rayonnement dans sa propre région.
Samuel Leroy, Bernique !, autoproduit 2016. Le site de Samuel Leroy, c’est ici (tout en bas, avant les vidéos, il y a en écoute libre trois chansons du CD « Bernique ! »).
Commentaires récents