Le dico amoureux de Bertrand Dicale : aux bien connus de la Chanson
Un nouveau dictionnaire de la Chanson française ? Non, seulement un « dictionnaire amoureux » – la différence est de taille - de la collection éponyme éditée par Plon : il en existe plus de 80 autres (« amoureux » des chats comme de la justice, de l’Égypte pharaonique comme de la Provence, du Tour de France comme du crime…) : celui-ci explore la chanson française en un inventaire personnel et, hélas, réducteur. On dirait révisionniste si le terme n’était pas si connoté. Le titre de « dictionnaire » est trompeur, voire usurpé (1). Trop d’entrées manquent à ce livre – quand je parle d’entrées, je parle d’artistes – pour mériter le titre de « dictionnaire ». C’est pourtant ainsi que, malgré les mises en garde, le public le tiendra, qui plus est venant d’un grand spécialiste de la Chanson.
Ceci dit, un tel pavé signé Bertrand Dicale – un des meilleurs journalistes en ce domaine – est forcément un ouvrage de qualité : la voix qui nous parle de chanson sur France-info est grand érudit devant l’éternel. Mais ça n’en fera pas pour autant, en ce cas, un ouvrage de référence.
Car comment peut-on raisonnablement établir un dictionnaire de la Chanson française en excluant Anne Sylvestre (trois fois mentionnée ici pour en tout l’équivalent d’une ligne et demi – sur 750 pages) ? Anne Sylvestre étant à mon sens la plus connue, la plus méritante car la plus importante dans l’Histoire contemporaine de la Chanson, des absents qui ici sont légion. Pas d’entrée non plus pour ce « perdant magnifique » (dixit) que fut Leprest (mais qui connaît Leprest ?) : seulement quinze lignes expéditives sur lui et pas tout à fait justes. Une demi-ligne, quelques caractères, sur Romain Didier. Au hasard d’une phrase sur le public gauchiste du premier Printemps de Bourges, on lit « Catherine Ribeiro » (mais on ne saura pas qui elle est). Michèle Bernard n’existe pas, Isabelle Mayereau non plus. Ni Laffaille ni Guidoni, ni… Encore moins Vasca et Bertin. Pour parler de « folk », si Dicale cite avec raison Montand et Béart, Cora Vaucaire ou Gabriel Yacoub, jamais le nom de Jacques Douai n’est mentionné, en dépit de sa remarquable contribution à la chanson traditionnelle. Mais Jacques-Douai est aussi le nom d’un prix, décerné chaque année à Barjac, qui ne récompense que des artistes de la marge, ceux qui justement ne sont pas dans ce dico. Le seul qui semble mériter de Dicale, sans toutefois avoir son entrée à lui tout seul dans ces pages, est François Béranger.
Présents, par contre, dans pas mal d’articles de ce dico, les Amisdelachansonfrançaisedequalité (en un seul mot, volontairement méprisant). Sa notice d’un peu plus de deux pages, caricaturale, est peut-être ici la seule faute rédactionnelle de Dicale. Oui, les pires des intégristes de la chanson font peut-être du mal à leur art (encore que), mais l’ami Bertrand sait-il combien ils sont minoritaires, négligeables : même à Barjac ils ne viennent plus, c’est dire. Du reste, ils ont le droit de vivre et participent à leur manière à un art estimable qu’on tente de détruire de partout, à Radio-France notamment, ce qui me semble autrement plus coupable.
En fait, il faudrait beaucoup de temps et de place pour lister ces autres « perdants » tout aussi magnifiques dont les disques ont beau être sur nos étagères et les souvenirs de concerts dans nos têtes mais qui n’auront donc jamais existé si toutefois on prête foi à cet ouvrage. Ouvrage qui pourtant, cause à ce qu’il n’y a plus aucun livre de référence sur la chanson (ah ! la frilosité des éditeurs qui préfèrent sortir la cinquantième biographie d’un chanteur mort ou la première d’une jeune pisseuse du showbiz) fera par défaut référence chez les libraires.
On l’a déjà dit du dispensable « Qui veut la peau de la chanson française » récemment paru aux éditions du Moment, comment peut-on écrire une somme sur la Chanson en en excluant la très grande majorité des chanteurs ? Comment y consacrer une entrée à Carla Bruni, une autre à Mylène Farmer, une autre encore à Florent Pagny, en oubliant Anne Sylvestre (j’insiste !), plus de cinquante ans de carrière, dont les chansons ont souvent accompagné voire anticipé la marche de notre société ? La réponse vient peut-être au détour de ce texte sur les disques d’or : « Comment un artiste le recevant peut-il être qualifié de négligeable ? Le public l’a aimé, le public lui a accordé assez de confiance pour acheter son disque, le public atteste de sa valeur. Rédacteurs en chef ou programmateurs de festivals sont sommés d’en tenir compte. » Les comblés d’or et pas forcément les autres, fussent-ils aussi estimables, plus même.
Ce n’est pas un dico, mais un choix : ni forcément le showbiz ni la marge, Dicale n’est visiblement pas « amoureux » de tout le monde ou n’en éprouve pas la nécessité. Avec cependant nombre d’entrées thématiques ou transversales qui font songer à un dictionnaire encyclopédique : engagement, chanson paillarde, occupation, américanisation, commerce… C’est d’ailleurs dans ces entrées-là où le talent de Dicale s’exerce plus encore même si, format oblige, il n’explore ses sujets bien souvent qu’en surface (mais diable il les explore bien). C’est bien de dire que si la censure n’existe plus elle fonctionne plus efficacement encore de nos jours, on aimerait en lire plus : comment, pourquoi, par qui et au détriment de qui ? Au détriment sans doute de tous les absents de ce livre, également absents des programmations radio et télé, de la mémoire officielle de la Chanson. Rien de nouveau sous le soleil, donc, avec ce livre partiel et partial : le vrai dictionnaire de la Chanson reste à écrire.
Le seul relativement complet, malgré ses défauts et quelques fâcheuses et récurrentes inexactitudes, restant le « Cent ans de Chanson française » de Louis-Jean Calvet, dans sa dernière édition de 2008, chez Archi-poche.
Signalons que, tout l’été, Bertrand Dicale a transformé sa case quotidienne estivale sur France-Info en « La playlist amoureuse de la chanson » comme pour mieux rappeler à nos oreilles son dictionnaire. Émission intéressante (on peut la peau de caster, dirait je ne sais plus qui) mais dans le même spectre étroit de la chanson.
Bertrand Dicale, Dictionnaire amoureux de la Chanson française, 750 pages, 25 €. Plon, 2016.
(1) Sur Wikipédia : « Dictionnaire amoureux » est une collection d’ouvrages qui, bien que prenant la forme d’un ensemble d’articles classés par ordre alphabétique et sans structure linéaire (d’où leur titre de dictionnaires), n’ont pas vocation à être de nature encyclopédique, mais plutôt des essais, à caractère subjectif (d’où le qualificatif amoureux).
Si Bertrand Dicale, qui signait naguère quelques bons articles dans « Chorus », avait fait un vrai dictionnaire de la chanson, il aurait été édité chez l’Harmattan (comme « La Chanson de Proximité ») ou en financement participatif (comme « La Mémoire qui chante »).
Pour séduire les « grands » éditeurs comme Plon et tous ceux qui sont chez Auchan ou chez Leclerc, il faut des livres dont le contenu doit séduire (et non informer) le plus grand nombre. C’est le phénomène « Vu à la Télé » ! Celui qui mène à la culture de masse, soit le plus grand dénominateur commun entre les consommateurs.
La nouvelle ère qui s’appuie sur la séduction et la brosse dans le sens du poil ne risque pas de faire progresser l’intelligence collective !
A l’école de « Chorus », Bertrand Dicale n’a pas retenu les mêmes leçons que la plupart d’entre nous. C’est son choix, ce n’est pas le mien. Son livre ne m’intéresse pas plus que les miens ne l’intéressent. En revanche je me suis régalé avec « Si Sarkozy m’était chanté », de Michel Kemper et j’attends impatiemment « La Mémoire qui chante » de Fred Hidalgo.
Je n’achèterai pas ce livre car j’ai entendu Bertrand Dicale « au téléphone sonne » de France Inter rabâcher que la nostalgie c’est mal, que nous sommes passéistes, mais ne pas évoquer la chanson actuelle, à part Juliette , J.Chéral et le rap. C’est peu.
Je regrette qu’il n’utilise pas plus son audience que Télérama pour défendre une vraie variété de la Chanson. Je regrette qu’il n’évoque pas Pierre Louki. Je ne crois pas me tromper, même sans avoir ouvert son livre ! Il l’avait pourtant rencontré, pour écrire sur Juliette Gréco.. et ça, c’est pas de la nostalgie (!)… rencontré Louki, comme d’autres l’invitaient surtout pour approcher Brassens !
JPaul Gallet
Pas une seule fois, le nom de Louki n’est cité dans cet ouvrage.
Si l’on veut lire Bertrand Dicale, on découvrira avec bonheur les « Naufragés » méconnus de la gloire qu’a repris Cyril Mokaiesh en Livre-disque Sony Music 2015. Tous morts sauf Jehan . Et pas sûr qu’on arrive à se le procurer en dehors des concerts de Mokaïesh.
Pourtant on pourrait faire œuvre en mêlant quelques chanteurs à la fois connus du grand public et intéressants (il y en a quelques-uns) et ceux qui passent par des circuits indépendants.
Sinon en interviews de vivants (pour la plupart) il y a la série de Michel Reynaud, Véronique Olivares et Tit chez Tirésias.