Michel Valette, 1928-2016
L’exercice de la nécrologie n’est jamais agréable, et devoir écrire « encore un serviteur de la bonne chanson qui nous quitte » n’a rien de réjouissant. Ce sera donc court et ne fera pas double emploi avec tout ce qu’on peut lire sur le site de Michel Valette. Juste un témoignage sur les dernières rencontres. En 2013 à une conférence pour la promotion de son livre Le Joli temps de la Colombe présenté dans NosEnchanteurs. Elle fait ressurgir des tréfonds de la mémoire toute l’aventure de la période des cabarets des années cinquante et soixante, l’incroyable fécondité en termes de découverte d’artistes nouveaux et la saveur d’une chanson où le texte a autant de valeur que la mélodie et ne s’abîme pas dans des arrangements déferlants. On avait alors utilement échangé et ce fut un plaisir de partager ne serait-ce qu’une infime partie de ce vécu-là. Et l’homme continuait à alimenter sa passion pour la chanson : il était venu, avec Beleine sa fidèle compagne, à Achères de 4 septembre 2014 pour revivre les chansons de Roger Riffard ressuscitées de leurs cendres par un incroyable Gérard Morel. Et dernièrement encore le 14 décembre 2015, nous nous sommes revus au Forum Léo-Ferré, à la fête organisée par Gilles Tcherniak pour les 60 ans du Cheval d’Or. Là, avec une amertume insondable, il m’avoue que les médecins ne lui donnent plus que quelques mois à vivre.
Le 14 mars dernier, moins d’un an après Beleine, il est allé grossir la liste des disparus. Il y côtoie tous ceux qu’il a programmés à La Colombe et qui, après s’y être aguerris, ont fait les carrières que l’on sait et nous ont quittés. Et avec Georges Moustaki, Ricet Barrier, Jean Ferrat, Christine Sèvres, Claude Vinci, Pierre Louki, Maurice Fanon, Guy Béart et plein d’autres, il n’est pas en mauvaise compagnie. Simplement, nous sommes tristes de voir partir un homme de grande valeur, et notre nostalgie pour ce temps révolu reprend un petit peu de service. Nous accompagnons la peine de sa famille et savons que ses fils sauront entretenir cette flamme de la chanson qu’il avait si bien servie.
A la fermeture de La Colombe (qui, sans disparaître, devient un simple restaurant, trois étoiles tout de même), Michel Valette devient, en 1964, directeur artistique du cabaret Milord l’Arsouille. En 1969, à la demande et sur une idée autant qu’une nécessité du directeur de la Mouffe, Georges Bilbille, il crée le SDA (Service de Diffusion Artistique) de la Maison pour tous et l’anime pendant quatre ans et demi. Le SDA fut le fait la première agence d’artistes (associative) en France et avait pour principaux clients les MJC qui naissaient alors de partout et avaient grand besoin d’artistes.
Par ailleurs acteur, romancier et auteur-compositeur-interprèe, Michel Valette sortira par la suite plusieurs ouvrages et disques. Il a participé aux destinées de l’association Chant’Essone pendant plusieurs années.
LA COLOMBE
4 rue de la Colombe 4e
« Au début, je cherchais juste un endroit où je puisse me produire… »
Michel Valette, (39) comédien, chanteur, avait fait plein de concours, à Strasbourg, puis Paris.
« Pierre Dac m’avait fait passer au Bidule où j’interprétais les chansons d’un inconnu : Georges Brassens. On m’avait filé
Le gorille, »Au marché de Brive-la-Gaillarde »… sous le manteau, en quelque sorte, avant que Patachou le découvre. Ça marchait pas mal pour moi. Je sais que je chantais juste… »
Valette, qui n’aimait pas le terme « chanson rive gauche » (« Il y avait beaucoup de boîtes estimables sur la rive droite : Chez ma cousine, Patachou…, avec de la bonne chanson »), trouve « ce café pourri », derrière Notre-Dame, avec sa femme Beleine.
« Un Américain, Ludwig Bebelmans, avait pris l’affaire pendant six mois, et l’a décoré habilement. Heureusement il n’a pas abîmé cette demeure historique. C’était un peintre cartooniste célèbre chez lui. Il avait fait pendant quinze ans la page de garde du New Yorker. Il avait des amis dans le monde entier, comme la famille royale de Suède, les Churchill, le duc et la duchesse de Windsor… Il a eu un chagrin d’amour avec la jeune femme de quarante ans de moins qu’il avait placée au bistrot… Alors, il a décidé de vendre ! Parmi les acheteurs postulants il y a eu Steinbeck en personne ! Mais l’homme d’affaires de celui-ci a dû repérer que la maison était frappée d’alignement, chose que moi je n’ai pas vue ! Je ne connaissais rien à ce genre de truc, ma femme non plus. Plus de cinquante restaurateurs de la place de Paris ont défilé. Tous se sont désistés… »
Ainsi, avec 30 000 « balles » en poche, Michel et sa femme ont ouvert dans cette maison rescapée des démolitions d’Haussmann ce qui allait devenir le fameux cabaret : La Colombe.
« J’ai été le premier chanteur à y chanter, accompagné par un guitariste classique, Bernard Pierrot. Il jouait d’abord, chantait Lemarque et Brassens, comme en musique de fond. J’arrivais en attraction, avec un spectacle un peu plus construit. J’avais monté Le gorille de Brassens en imitations. Chaque couplet était chanté à la manière de Trenet, Montand, Fresnay, Sablon… J’étais le premier imitateur à ne pas annoncer les gens que j’imitais ! Les gens découvraient : c’était plus sympa. Quand ils ne trouvaient pas, je faisais la gueule ! »
Michel et sa femme ouvraient tout le temps pour faire entrer de la recette, « les coups de rouge de la journée aussi bien que le public un peu plus rupin… »
Et les programmes allaient s’étoffer aux deux étages de La Colombe.
« Au bar, au rez-de-chaussée, les chanteurs à la guitare passaient dans une fenêtre pour les gens qui étaient dans la deuxième salle. Ils posaient sur le fond du mur leur verre pour boire entre les chansons… Au premier, il y avait un petit podium avec un piano… Et pendant dix ans, nous avons eu six jours sur sept des spectacles ! »
Une vie, évidemment, extrêmement bien remplie : « Je mettais cinq artistes en bas et quatre au premier, décalés. En haut, c’était dîner-spectacle. Je commençais le programme au dessert. En bas, cinq chanteurs se produisaient à partir de 23h 15. Après, les gens restaient, bavardaient… »
Le brassage de la clientèle était très important pour Michel : « Les étudiants venaient juste boire un verre. Leurs jeans côtoyaient les smokings et les robes du soir des dîners-spectacles… »
Pour Michel, il fallait faire très attention à la qualité des artistes : « Je n’aurais pas pris certains artistes rive gauche, parce qu’ils se contentaient de trois, quatre accords de guitare. Je demandais que ça soit plus riche, musicalement. Mais quand les textes étaient très forts, et qu’il se passait quelque chose dans la manière de chanter, je les prenais quand même. Je les embêtais pour qu’ils travaillent ! »
Les débuts de Guy Béart ont attiré l’attention de la presse.
« Brusquement, après des articles sur lui, il y a eu un afflux de chanteurs qui sont venus me voir. J’ai dû organiser des auditions. Chaque mois, j’écoutais quarante artistes ! »
Il se souvient très bien des premiers pas de Béart : « Il était très paniqué. Il n’osait pas chanter ses propres chansons. Il chantait celles de Brassens. C’est moi qui l’ai poussé à interpréter ses œuvres. Il ne savait pas dans quel ordre les mettre. Je lui soufflais les titres à mesure… Le chanteur, en bas, était très proche du siège où je m’asseyais. Je faisais les secondes voix et le public reprenait en chœur… »
Il n’y a pas que Béart qui ait été poussé. Pierre Perret, aussi, a été véritablement propulsé devant les gens par Michel Valette. « Il avait écrit des chansons pour Françoise Marin, qui s’appellera plus tard Françoise Lo, puis Sophie Makhno… Il l’avait accompagnée à la guitare. Je lui ai demandé s’il avait d’autres chansons. Après le départ des clients, il me chantonne de façon savoureuse et maladroite des chansons destinées à des interprètes masculins… Dès le lendemain, je l’ai annoncé par surprise. Il a dû s’exécuter. Il y avait déjà J’attends Adèle… Et tout de suite, le tabac ! Quelque temps plus tard, Émile Hebey (alors impresario de Gilbert Bécaud) l’entend et lui fait signer un contrat chez Barclay… En bon méridional, Pierre Perret s’est écrié : »Eh bé ! » Je lui ai répondu : »C’est exact, il s’appelle
Hebey ! » »
La liste des artistes s’étant frottés au public de La Colombe est longue : aussi bien des chanteurs comme Jean Ferrat, Anne Sylvestre, Pauline Julien, Serge Kerval, Henri Gougaud, Roger Riffard, Marc Ogeret, Francesca Solleville, Hélène Martin, Monique Morelli, Georges Moustaki, Monique Godard, Maurice Fanon, Jean Vasca, Claude Vinci, Lise Médini, par exemple, que des duettistes comme Avron-Évrard, ou des humoristes : Romain Bouteille, Bernard Haller…
« Ils n’arrivaient pas comme un cheveu sur la soupe. Dès que Béart ou Ferrat ont été un peu connus, quand je présentais un débutant, je disais : ce jeune n’est jamais passé en public, vous avez une chance extraordinaire ! Un jour vous vous direz : j’ai vu débuter un chanteur qui est l’égal de Béart et des autres ! »
Et finalement, le 23 juin 1964, quatre-vingts artistes étaient sur la scène du Théâtre de l’Ambigu, mettant un point final au cabaret La Colombe… Michel Valette ne s’est pas éloigné de la chanson, ce virus qui ne vous quitte pas si facilement. Sous sa crinière blanche, on peut le voir désormais chanter ses propres textes, les yeux au loin sur la ligne bleue de l’émotion…
Merci pour cet article hommage que je ne découvre que quatre mois après le départ de mon père.
Je suis entrain de trier ses disques, ses livres, et quelques bandes magnétiques de travail parmi lesquelles l’enregistrement sur Revox de la soirée d’adieu du cabaret en juin 1964 et des enregistrements live des spectacles de Milord L’Arsouille avec notamment Catherine Sauvage, Serge Gainsbourg et Guy Béart.
Si parmi vous quelqu’un est sont susceptible de m’aider à valoriser ce patrimoine, le sauvegarder, ou me dire ce que l’on peut recycler et jeter qu’il me contacte par l’intermédiaire de mon site.
Emmanuel Valette dit Chansonatix.