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JeHaN chante Leprest : logique, indispensable

photoComment doit-on écouter un tel disque ? En lui décernant d’emblée les deux ou trois clefs (quatre, oseront certains) que Télérama oubliera de lui octroyer cause qu’il est forcément confidentiel, pas très Universal ? En tentant de retrouver à chaque mot, chaque note, chaque double croche, le souffle, l’intonation, le génie de Leprest ? En se disant que, JeHaN comme Leprest, tout est bon chez eux y’a rien à jeter et que, mon dieu (que moi non plus je ne salue pas), JeHaN est un bien digne repreneur : il l’était déjà du vivant de l’Allain qui lui avait concocté, au siècle passé, tout un album avec le Lantoine et le Laffaille.

Didier-Jamait-Guidoni, Elzière, à nouveau Guidoni, Torreton, JeHaN… décidément Leprest suscite de biens beaux albums, de relectures, pour l’heure sans déchet. Avec son lot d’inédits tant le défunt a écrit et, comme la rousse, semé à tous vents, dispersé, chuchoté, donné, oublié ses vers. Parfois jeté.

Encore faut-il se les mettre en voix, trouver le ton juste, unir son émotion à celle des textes sans jamais singer, les faire vivre tout en s’affranchissant du chanteur statufié.

JeHaN est juste, qui accomplit là un de ses meilleurs boulots. Pourtant la barre était haute. Mais…

Leprest mort est moins facile à reprendre que vivant. Le gisant pèse son poids que le chagrin pas éteint alourdit plus encore. On pèse et soupèse chaque mot comme au trébuchet le ferait un joaillier. Si la voix de rocaille sied bien aux vers de Leprest, on fait moins bien de trop vouloir bien faire : à rendre une copie parfaite, JeHaN oublie, me semble-t-il, la spontanéité, l’air frais qui verdit les vers, irrigue le sève. Ça pétrifie un peu les mots quand il fallut seulement les pétrir. Mais c’est peut-être dû au choix des chansons, lumineuses et sombres à la fois, où la légèreté a du mal à se frayer un chemin.

Des chansons de toutes provenances, pas les plus connues. Le Je ne te salue pas (sur lequel JeHaN et Suarez se lâchent) côtoie le Trafiquants déjà repris par Guidoni, le Êtes-vous là vient du disque Parol’ de manchot de Leprest/Lemonnier. Le J’ai peur, jadis composé par Ferrat, là décomposé, mis à nu. Et même des inconnues : 14/18Aimer c’est pas rienVa-t’en jouer dehors

Reste que c’est un album magnifique (à tous niveaux, même le digipak au visuel d’une élégante et efficace sobriété). Réalisé et arrangé par le complice accordéoniste Lionel Suarez (musicien de renom qui a travaillé avec des comme Nougaro, Lavilliers, Minvielle, Sandoval, Mengo et quelques autres) tant qu’il est justement co-signé par Suarez, il fait à l’évidence songer au Voce a mano du Leprest-Galliano de 1992 (ce n’est peut être pas pour rien que deux titres sont ici repris à cet album mythique : C’est peut-être et Rue Blondin). Juré que cet accordéon fait bien plus que son travail, qu’il se gonfle d’importance avec raison : il est le palpitant qui oxygène les mots.

C’est justement à de tels titres parfois ou souvent repris qu’on peut, non s’amuser à comparer (ça n’a aucun intérêt) mais à mesurer comment chaque interprète peut s’approprier un texte, une mémoire, la trace de l’amitié, la dramaturgie des mots. Comme ici dans le poignant Où vont les chevaux (quand ils dorment) ou Je ne te salue pas.

Dans une interprétation, dans une orchestration qui confinent à l’épure, JeHaN et Suarez font travail d’orfèvre. Et ce disque est déjà gravé dans les incontournables références, de celles qu’on citera comme autant de pléonasmes.

 

JeHaN, Leprest, pacifiste inconnu, Ulysse productions/Absilone 2015. Le site de Pacifiste inconnu, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de JeHaN, c’est là. En concert le 27 janvier au Studio de l’ermitage, Paris 20e, et le 28 janvier à Saint-Pierre des cuisines, Toulouse. Image de prévisualisation YouTube

4 Réponses à JeHaN chante Leprest : logique, indispensable

  1. Nicole Bertrand 18 janvier 2016 à 11 h 36 min

    J’ai hâte d’écouter cet album de Jehan découvert naguère avec « L’Envers de l’Ange ». Qu’aura-t-il fait des chansons d’Allain Leprest ? Des merveilles sans doute

    Répondre
  2. Odile 18 janvier 2016 à 15 h 49 min

    « Le gisant pèse sont poids que le chagrin pas éteint alourdit plus encore »
    Très belle phrase qui me parle vraiment.
    Oui Leprest n’est pas facile à reprendre, et j’ai mis du temps à accepter certaines interprétations.
    J’apprécie tous ceux que vous citez, car ils font passer leurs propres émotions.
    Merci Michel pour cet article très intéressant.

    Répondre
  3. Eric Aspard 18 janvier 2016 à 22 h 33 min

    Super bon cet album, moi qui pensais tout connaitre. Merci JeHaN

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  4. Henri LeBret 21 janvier 2016 à 16 h 07 min

    Bonjour
    Une précision, la chanson « Etes-vous là… » a été enregistrée fin 2005, sur l’album Re-Donne moi de mes nouvelles, en duo avec Olivia Ruiz, premier album de la collaboration de Leprest avec Tacet.
    Cordialement

    Répondre

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