Et Engel créa Les (fameux) Dimanchanteurs
Montreuil, métro Croix de Chavaux, sortie Marché. C’est jour de marché. A deux pas de là, le 19 de la rue Girard, un gigantesque chantier. Là se construit Les Thénardiers, la douce folie de Sarclo & Co, une audace rare, un projet de vie, une communauté d’artistes, deux salles de spectacles en une. Dans le marasme culturel actuel, ce lieu, loin d’être terminé, est déjà une réponse, un espoir, un bras d’honneur. Du Sarcloret tout craché, lui le chanteur-architecte qui prolonge ainsi son œuvre, la parachève presque.
Bien avant l’arrivée du public, c’est ici fourmilière. Patrick Engel (oui, celui entre autres de NosEnchanteurs) y inaugure tout à l’heure ses Dimanchanteurs qui se tiendront de façon aléatoire (prochaine date le 22 mars). On fait les balances entre deux plombs qui pètent. On coupe le chauffage pour donner un peu de chance à la fée électricité. On alterne le chaud et le froid. Je suis en avance et Sarcloret me fait visiter l’impressionnant chantier, cette ancienne mosquée de fait laïcisée. Y’a du Charlie dans l’esprit, en suspension dans l’action. Tout à l’heure, malgré la superstition du vert sur scène, Engel brandira la une de l’irresponsable et indispensable hebdo.
Le temps passe et la foule vient. Du beau monde. Si je le liste, j’en oublie. Tant pis : Benoit Dorémus, Askehoug, Nicolas Bacchus, Monsieur Poli… Le tout-Montreuil, étonnante ville d’artistes, est là pour s’endimanchanter. Au menu de cette première, deux dames : Clio puis Eskelina. On ne sait pas encore à quel point ça va être bien, très bien…
Si on n’y prend garde, on pourrait croire que les chansons de Clio Tourneux sont toutes pareilles, même ton, mêmes mots chantés semblablement, sortis d’une voix sans grandes nuances. Un filet de voix, de chansons, si doux, si fragile. Et des mots qui s’y bousculent, s’en échappent, dans l’immensément grand, dans le petit aussi. Le petit des grands sentiments, comme cette main menue qui timidement s’insinue pour frôler celle d’en face (« Cap ou pas cap ? / Que dira-t-il si je pousse les tasses / Si ma bouche l’embrasse ? »), gestes anodins ou pas qu’elle capte comme pas deux par ses mots. Et l’espace urbain (« Je connais la ville comme ma poche… ») comme la nature presque vierge : « C’est beau comme le bout du monde / Personne à cent mille à la ronde »). Clio fait dans le détail, la mécanique des mots, des regards, des impressions, des gestes. Pas pour rien qu’elle chante aussi les cyclistes, ces « équilibristes et mécaniciens. » La clef de ce récital, agréablement mené avec le concours de son guitariste Gilles Clément, tient sans doute à cet hommage cinématographique superbe, que même Vincent Delerm n’aurait pas mieux filmé de ses mots : « Eric Rohmer est mort / Et moi j’en veux encore […] Des arbres en plastiques / Des discussions mathématiques.. » Par elle, c’est Rohmer qu’on voit danser le long des golfes clairs. C’est diablement joli, bien dit. Bravo mam’zelle Clio !
Reste que la vedette était, au moins sur le papier, Eskelina. De fait, elle le fut. Il y a dix ans, la suédoise qu’elle est renonçait à devenir chanteuse, ne conservant en tête qu’une seule chanson, entre toute fétiche, en anglais (elle la chantera en rappel). En arrivant sous nos contrées moins enneigées, l’envie lui revint. On s’en félicite aujourd’hui. Si d’aventure (c’est possible) on ne la connaissait pas, on ne risque pas de l’oublier après une telle prestation.
Eskelina c’est un folk-song qui emprunte tant à son pays d’origine (par deux fois elle chantera en suédois, dont un poème du prix Nobel de littérature Tomas Tranströmer sur Des maisons solitaires en Suède, superbement interprété sur une sorte de musique trad’) qu’a notre tradition française et nos influences anglo-saxonnes, étasuniennes, arabisantes parfois. Avec cet indicible et délicat accent que même Ikéa avant elle n’avait su nous transmettre.
La chanson d’Eskelina est sans âge, à l’affut d’émois et de toi (« Je suis amoureuse de toi / Je suis pulpeuse et tu sais que ma pulpe bat parfois… »). De toit aussi (« Son ambassade n’a pas de mur / D’une ambassade S.D.F. »). « Libertine et engagée » a-t-on lu à son propos. Et c’est ça. Avec un verbe haut et puissant, évocateur, qu’elle doit en grande partie à Florent Vintrigner, celui de La Rue Két’ (souvent sur des musiques de Christophe Bastien, son guitariste, également membre de Debout sur le zinc) : des perles de mots, des mots qui parlent. Émotion du corps (« J’ai dormi dans le lit d’Émilie / Et Émilie aussi… »), émotions de l’intime, quand la plume amoureuse du prisonnier se farde pour se masquer aux yeux de la censure. La voix est ample et chaude, que parfois rejoint celle de sa contrebassiste Nolwenn Leizour. Tout est enlevé, très musical, sensuel, désirable. L’album attendu d’Eskelina sort pile le lendemain : il devrait s’arracher ou c’est à ne plus rien y comprendre, ralliant à lui tant les grands amateurs de chanson que les auditeurs de Manoukian. Il est l’élégance même : homme de goût aux oreilles affûtées, Patrick Engel (Eskelina aussi) nous en a offert la primeur. Qu’il soit béni !
Le facebook de Clio, c’est ici (et ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là) ; le site d’Eskelina, c’est là (et ce que nous en avons déjà dit, c’est ici).
Vidéo d’origine de Clio supprimée, remplacée par celle-ci :
Belle référence à Rohmer qui savait filmer la parole, pour cette chanteuse …Nouvelle vague ? Clio, Tourneux pour ne pas confondre avec ses homonymes . Et la délicieuse Eskelina , plus les garçons cités, notre Patrick a vraiment bon goût, qu’il soit béni …Quoi de plus normal pour lui qui a choisi le jour du seigneur pour ses Dimanchanteurs . Et à suivre donc .
Dis-moi, l’ami, on ne pourrait pas te trouver un petit coin rien que pour toi au 19 de la rue Girard à Montreuil ? Je trouve que le passage par ce lieu et avec ces gens-là t’a fait un bien fou !!! Ta plume se fait aérienne, et c’est bon et beau !!! Dans tous les cas, ces belles dames du temps présent ont bien de la chance d’être ainsi habillées de tes mots !
Pour un peu j’srais jalouse, moi !
Certains lieux, certaines circonstances, certaines ambiances peuvent agir sur notre plume, c’est vrai. Cette première sélection de l’ami Engel et ce lieu sympathique, un peu fou, tout concourt à un moment d’exception : ça lubrifie la plume et le clavier !
Non, je ne rebondirais pas sur ces lignes qi n’engagent que leur auteur ! Mais il est vrai qu’il y avait de la magie dans l’air en ce bel après-midi d’inauguration…
D’accord, pas d’accord…
Si on n’y prend garde, on pourrait croire que les chansons de Clio Tourneux sont toutes pareilles, même ton, mêmes mots chantés semblablement, sortis d’une voix sans grandes nuances.
La question qui me vient, pourquoi faut-il « prendre garde » si cette impression se confirme avec 4 chansons sur 5?
La chanson selon l’art de Rohmer, pourquoi pas? Mais le cinéma c’est de l’image d’abord comme possible langage universel, ensuite pour Rohmer, et la Nouvelle vague, on a érigé en approche artistique ce qui n’était que des contraintes techniques subies. Les plans de 20 sec de ses premiers films n’étaient un choix, mais une contrainte liée aux caméras mécaniques qu’il fallait remonter toutes les 20 secondes. Que le minimalisme soit un choix d’expression voulu, OK, mais quand c’est un choix imposé, pas d’accord. C’est comme un peintre qui n’aurait plus que des tubes de blancs pour peindre une corrida, l’exercice est intéressant, mais intellectuel. Pas « charnel »… il y a eu les mêmes problématiques avec la photo et le snobisme du noir&blanc à tout crin, le choix n’était pas artistique mais contraint par les difficultés de maîtriser la couleur. Alors la chanson sans calcium, pas d’accord pour moi …
NB: Barouh dit parfois que la contrainte peut être génératrice de créativité, c’est vrai, toutefois, si Mozart aurait pu être bon avec un pipeau, c’est quand même avec des ensembles plus riches qu’il s’est épanoui…
Très belle argumentation de Norbert : un point partout !
Plus d’Eskelina ici : http://www.youtube.com/playlist?list=PLnJ9xT2UOqNhsgHV5FjBNO9hjpkgHXXOt
C’était à Toulouse, et Chez Ta Mère (non, pas une insulte, un lieu sympa aussi !), musical et chaleureux…
En ce qui concerne Clio, le minimalisme a l’air voulu de sa part, pour qu’on écoute mieux les paroles, et je dois dire que j’aime bien le timbre légèrement voilé de la voix, et la délicatesse des mots. Et j’adore aussi la chanson qui envoie pourtant…
L’approche qu’on peut avoir avec un album est sans doute différente, ma perception est liée à ce jour-là, sur cette scène là, je suis passé à côté de cette transparence « minimaliste » sans en garder une trace réelle,… Ce matin, chez Philippe Meyer, à la 3 ème note, m’est revenue en bloc une chanson d’ »Hélène Martin que je n’avais pas entendue depuis longtemps, « Tzigane »… Je ne l’ai pas trouvée en youtube, mais voilà un duo, en public avec Jean François Gaël à la guitare, le genre de duo que j’aurais pu voir ll y a 40 ans, sans jamais l’oublier..
https://www.youtube.com/watch?v=Rz20SZQCnwE
Pour Tzigane, c’est dans l’émission du jour, La prochaine fois je vous le chanterai, à la 22 ème minute, et une finesse dans l »accompagnement guitare comme on en trouve rarement… (et une petite citation de Django « Improvisation »… celle que Brassens reprend dans « Je m’suis fait tout p’tit)
Et du coup j’ai passé l’après midi à écouter Hélène Martin…
Merveilleuse Hélène Martin ! Et en écoutant la vidéo extraite de La Fine fleur de la chanson française, comment ne pas pleurnicher encore : C’était mieux avant ! …à la télé du moins !
Dites, une suggestion – mais il est peu probable que vous en tiriez profit : si vous cessiez de prendre prétexte du talent des autres pour faire mousser vos aigreurs tristes ? Alors, après ces enflures tristes, ces piteux dialogues où Frustration répond à Cuistrerie, viendrait du silence, enfin.
En passant, de quoi et de qui parlez-vous? Il y a de l’aigreur dans cet article?
Ah, un troll, j’adore, ça faisait longtemps !!!