Souad Massi et Eric Fernandez, éloge de la tolérance et du vivre ensemble
Cœurs de Cordoue, 21 octobre 2014, Le Firmament à Firminy,
Fermez les yeux. Nous sommes à Cordoue, au mitan de l’Espagne médiévale. Cordoue la tolérante, où les religions sont là, toutes ensemble, à vivre dans la sérénité, l’intelligence et le dialogue, la paix et l’enrichissement mutuel. A cette époque, on a pas encore inventé le vilain vocable de « cohabitation » : on est simplement ensemble, et c’est naturel. A se respecter, à vivre ce présent qui chante, à l’imaginer encore pour demain…
Ouvrez les yeux. Nous sommes dix siècles plus tard. La tolérance tente encore de faire entendre sa voix, mais les temps sont difficiles. La veulerie, la démagogie, l’égoïsme, la haine, le repli sur soi se partagent le monde, refaisant naître en son sein plus encore de bêtes immondes qui foulent du pied les mots respect et tolérance.
Il y a cependant des ilots de résistance où on peut s’imaginer que c’est encore possible. Comme hier au soir, sur cette scène appelouse*. Quatre hommes, deux femmes pour célébrer le mariage de l’arabe et de l’andalou, par eux de toutes les cultures, belle hyménée, dans la joie, la chanson, la musique. Par tout ce qui fait l’intelligence de l’art, l’art de l’intelligence.
Deux artistes notoirement plus connus : le guitariste virtuose Éric Fernandez et la chanteuse Souad Massi. Citons les autres, tous aussi excellents : Sabrina Romero, à la danse et au chant ; Alexandre Leauthaud, à l’accordéon ; José Cortès, à la (douce et calme) batterie et aux percussions ; Rabah Kalfa à la derbouka, au chant également.
Six artistes, tous jouant assis devant une piste de danse. Et Sabrina qui, parfois, souvent, y accomplit d’incroyables chorégraphies, frappant les talons sur le parquet, comme une danseuse andalouse sans castagnettes, débarrassée d’inutiles clichés, gracieuse et intemporelle…
Comment vous dire les émotions, l’excellence ? Ce spectacle est un peu comme le repos du spectateur, du chroniqueur. Il vous happe et ne vous lâche pas, dense et léger à la fois, profond… Sauf à avoir fait l’arabe deuxième langue, sauf si c’est votre langue maternelle, vous n’y comprenez mot. Tant pis, tant mieux : la voix devient elle-même musique, instrument. Et tout est poésie.
Parfois des chansons nous sont familières, tirées qu’elles sont du répertoire en propre de Souad Massi. On sait que ça parle de bien aimé, de peines de cœur, de la difficulté et des bienfaits de l’amour, langage s’il en est universel… Quand elle partage son chant avec son complice de scène Rabah Khalfa, on atteint des sommets : « Je traverserai des montagnes et des rivières / Peut-être à ce moment-là je parviendrai à oublier / Mes peines… » Le chant des Hommes est pure beauté quand il se pare des atours de l’amour.
On manque vraiment de tels spectacles pour dire à tous le bonheur d’être ensemble, ce plaisir d’offrir à l’autre sa culture, cette joie en retour de recevoir la sienne.
* Les habitants de Firminy sont les appelous.
Chœurs de Cordoue @ Festival Arabesque – mai 2013
Voilà bien le genre de truc qui m’aurait plu, comme il est dit dans Bilbao song…
Dans ces moments d’histoire qui semblent des parenthèses de rêve, il faut ajouter Tolède, jusqu’à l’arrivée d’Isabelle la catholique, c’était aussi une ville « éclairée » où les religions du Livre vivaient en bonne entente depuis pas mal de temps…