Ce soir c’est Noël
« Ce soir, c’est Noël et moi je regarde le ciel / Tous les gens dans la rue ont l’air tellement heureux / On dit que ce soir-là, si on regarde le ciel / On voit l’homme au traîneau… » chantait Cloclo dans les années soixante.
Je n’aime pas Noël. Rien que d’attendre et entendre l’incontournable et sirupeux Tino Rossi dans son « Petit papa Noël / Quand tu descendras du ciel / Avec des jouets par milliers… » (*), ça me fout la gerbe. À tout prendre je préférais le Corse dans Marinella que, dans la cour d’école on chantait à notre façon : « Marinella / Tu pues du cul / Tu sens l’tabac », au moins ça nous faisait rire. Du plus loin dans mes souvenirs, le père Noël ne descendait pas du ciel, ou pas souvent. Est-ce le fait, ce n’est pas ma faute, que je sois né trois jours avant le réveillon, je ne recevais mon seul cadeau que lors de mon anniversaire et plus après, avec tout au plus deux papillotes et une mandarine en consolation sous le sapin… Et pis le jour où, mon frère et moi, avons découvert un cadeau (un train même pas électrique) au-dessus de l’armoire et y avons secrètement joué quelques jours avant que le joufflu en tenue rouge n’arrive par une cheminée que de toute façon nous n’avions pas, ça a eu au moins le mérite de la clarté.
Le p’tit Jésus dans la crèche ou pas, le père Noël, le lapin de Pâques… dès l’enfance on vous inculque le mensonge pour vérité première, utile formation pour ce qui, à notre insu souvent, sera une intangible règle de vie : ainsi les bobards que sont le triptyque « liberté, égalité, fraternité », la démocratie ou le respect des urnes. C’est Pierre Perret qui, à l’adresse de la Mère Noël, nous le suggère : « Mère Noël je suis bien petit / Mais déjà je comprends / Que la vérité travestie / Est un cadeau pour les grands ».
Du reste, Noël n’existe vraiment que pour signifier aux gens seuls qu’il le sont plus encore ce jour-là, pour rappeler aux pauvres qu’ils le sont. Les Béruriers Noirs ne chantent pas autre chose avec leur Mère Noël à eux : « Où est passé le Père Noël ? / Où est passée la Mère Noël ? Où est passé le Père Noël ? / Pour les gosses défavorisés ? » Les Sales Majestés, eux, dans PP Haine, nous la font à l’envers : « Et si tu descends quand même / Dans ton traîneau éternel / Surtout n’amène pas d’cadeau / À ces enfants de salauds / Pour les grands, soit sans pitié / Surtout ne fait pas d’quartier / Ils ne l’ont pas mérité ».
Tout est feint et faux en ce jour, qui n’est rien d’autre qu’une vulgaire opération commerciale, aussi vile qu’un black friday. Mais, à cause des gosses, on est prié d’y croire. C’est ce que nous chante, un brin railleur, Louis Chedid : « Ce soir c’est Noël, tout le monde s’aime ce soir / C’est pas comme demain, c’est pas comme la veille / Ce soir c’est Noël, tout le monde s’aime ce soir / Instant irréel, la nuit parallèle, drôle de phénomène / C’est pas comme demain, c’est pas comme la veille / Ce soir c’est Noël ».
C’est dire qu’aux délicieux chants de nativité, je préfère et de loin quelques dissonances bienvenues, telle que ce Père Noël noir du rusé Renaud : « Petit Papa Noël / Toi qu’es descendu du ciel / Retournes-y vite fait bien fait / Avant que j’te colle une droite / Avant qu’j’t’allonge une patate / Qu’j’te fasse une tête au carré ! »
Demain, ce sera effectivement un autre jour, celui où, sans scrupule, on revend ses cadeaux sur eBay ou Le Bon coin, celui où la vie reprendra son cours, où le lot de téléfilms sur Noël commencera à se tarir. Les Wampas ont beau chanter : « Non rien / N’est plus vraiment pareil / Ce soir, ce soir c’est Noël, c’est Noël / Ce soir, ce soir c’est Noël », Noël n’aura été ici qu’une infime parenthèse. Ailleurs il n’a été rien : que je sache, on n’a pas cessé de bombarder ici sur Kiev, là sur Gaza.
(*) Initialement, Petit papa Noël avait des paroles différentes. Créée par Émile Audiffred et chantée par Xavier Lermercier dans Ça reviendra, une revue créée à l’Odéon de Marseille en 1944, les paroles évoquaient la prière d’un enfant demandant au père Noël le retour de son papa, prisonnier de guerre en Allemagne. En 1946, à la demande de son auteur d’origine qui est devenu l’imprésario de Tino Rossi, Raymond Vincy réécrit les paroles en effaçant toute allusion à la guerre.
Les Sales Majestés « PP Haine » :
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