Jean-Marc Héran « Une sorcière comme les autres »
S’il vous plaît
Soyez comme le duvet
Soyez comme la plume d’oie
Des oreillers d’autrefois
J’aimerais
Ne pas être portefaix
S’il vous plaît
Faites-vous léger
Moi je ne peux plus bouger
Je vous ai porté vivant
Je vous ai porté enfant
Dieu comme vous étiez lourd
Pesant votre poids d’amour
Je vous ai porté encore
A l’heure de votre mort
Jean-Marc Héran
Paroles et Musique Anne Sylvestre. Original extrait de l’album éponyme, 1975
Cette chanson féminine et féministe est sans doute le titre le plus emblématique d’Anne Sylvestre, disparue il y a quatre ans le 30 novembre 2020. Elle déroule la fresque de l’histoire des femmes, telles qu’elle ont été conditionnées, assignées à leur rôle, mais aussi telles qu’elles voient la force de vie, celle des vraies valeurs, et le combat qui les anime. Écoutez-la en 1976 lors d’une de ses rares apparitions à la télévision, à Aujourd’hui Madame sur A2 (document INA). Loin d’être un pamphlet, c’est surtout une supplique contre la folie des hommes, un appel à adopter des valeurs bienveillantes et un réel courage face aux épreuves de la vie. Se défendant des stéréotypes, portefaix, servante, ignorante, statue, soumise, déesse mère, poussière piétinée… Pour ne plus être une tombe, ou une église toute la honte dessous.
Des femmes dont la conscience politique s’éveille: « J’étais celle qui attend / Mais je peux marcher devant » soumises à des injonctions contradictoires. Elle y évoque des femmes célèbres ou inconnues : Jeanne d’Arc, Margot, Joséphine ou la Dupont« Celle qui règne ou se débat », « ma mère ou la vôtre / Une sorcière comme les autres », Gabrielle (Russier, qui s’est suicidée après avoir été accusée de détournement de mineur, ce qui a donné lieu au film de Cayatte, « Mourir d’aimer » en 1971 et à la chanson éponyme d’Aznavour) « ou bien Eva, fille d’amour ou de combat » (Eva Forest, militante catalane anti franquiste, qu’ultérieurement Anne Sylvestre remplace par Aïcha Dabalé, militante afar à Djibouti contre l’excision, la dictature et le viol). Discrètement, elle témoigne aussi de son expérience personnelle « Quand vous jouiez à la guerre moi je gardais la maison / J’ai usé de mes prières les barreaux de vos prisons / Quand vous mouriez sous les bombes je vous cherchais en hurlant / Me voilà comme une tombe et tout le malheur dedans ».
Pourtant, épuisée par ce qu’on appellerait de nos jours la « charge mentale », elle en appelle à la raison, à la tendresse : « soyez comme je vous ai / Vous ai rêvé depuis longtemps / Libre et fort comme le vent / Libre aussi, regardez je suis ainsi / Apprenez-moi n’ayez pas peur / Pour moi je vous sais par cœur », comme une réponse aux masculinistes contemporains qui craignent pour leur virilité. En les rassurant : « Me voilà comme une vague vous ne serez pas noyé ».
Cette chanson est une des plus reprises par des interprètes féminines, que nous vous avons déjà présentées, et de bien d’autres encore, du lyrisme de Marion Dhombres, alias Odile de Mainville au Bal Blomet, à la délicatesse nuancée de la belge Ariane Rousseau avec le beau travail au piano d’Eric Bribosia – qui se fait léger – au Cabaret Chez Émile, différentes et pourtant toutes deux chargées de vérité et d’émotion.
Plus rares sont les reprises au masculin : Christian Camerlinck, Entre 2 caisses qui se mettaient sous la peau des filles. Hervé Suhubiette n’en citera que le premier couplet, dit et non chanté. Ben Mazué s’est permis de changer légèrement la musique, et de retirer toutes les références officielles à des personnages existants. Si Anne Sylvestre lui a fait quelque réflexion, elle n’a pas fait retirer la chanson. Enfin Jean-Marc Héran l’a mise à son répertoire depuis quelques années, dans sa version intégrale, avec modestie et pudeur (le reste de son répertoire d’auteurs masculins, de Brassens à Tachan et Font, est beaucoup plus cru !), retenant Aïcha plutôt qu’Eva. Ce qui lui permet de la dédier à Ahou Daryaei, emprisonnée en Iran. Elle est enregistrée le 30 novembre 2024 au Festival d’Ensuès la Redonne par Alain Withier.
Le répertoire adulte d’Anne Sylvestre est enfin entré dans notre matrimoine.
Cher ami Jean-Marc, cher complice, cher confrère et grand amateur de chansons, merci. De tout coeur, merci pour cette reprise.
Merci Catherine d’avoir fait ce choix pour la Chanson du jour.