Dominique A, la symphonie aboutie de l’intime
Trente ans de chansons et quelques poussières, depuis 1991 année de son premier album. Dominique A marque en toute bienvenue modestie cette étape en revisitant son répertoire dans un double album au titre révélateur, « Quelques lumières ». Vingt-huit titres dont quelques inédits dans une version symphonique et en trio où l’écrivain, le poète saisi par l’écriture, parcourt en mode intime, « Mais pas en solitaire », des titres connus sur disques et entendus en tournée. Ce double album, précise encore l’artiste basé à Nantes, aurait pu s’appeler « Une mémoire neuve ». Tant il est vrai que pour vivre les chansons doivent être sans cesse revisitées. Quel parcours depuis le temps où l’on parlait de chansons aux accents minimalistes à son propos !
L’idée d’un enregistrement aux couleurs symphoniques est venue d’une invitation de l’Orchestre de Chambre à la Comédie de Genève. Le résultat a de quoi surprendre dans le bon sens du terme. Dominique A place sa voix différemment et le résultat est à la hauteur du projet de départ. Ces quatorze premières chansons réarrangées par David Euverte (complice de studio et de scène) et le producteur Yann Arnaud, font quasiment peau neuve. Il y a les classiques comme Le courage des oiseaux, Le Twenty Two Bar, ou encore Immortels (connu dans une version d’Alain Bashung dans un album posthume). L’arrangeur donne encore sa pleine mesure en habillant Corps de ferme à l’abandon de mystérieux accents.
Les lumières suivantes, dans le second album, se font jour en trio (avec aux côtés de Dominique A le claviériste Julien Noël et le contrebassiste Sébastien Boisseau). L’occasion pour le chanteur de se concentrer sur le chant et sur la posture scénique. « Un enregistrement qui privilégie le silence et la science, celle du détail » assure Dominique A. Le plaisir est partagé. Trois titres inédits sont au programme : la Chemise à fleurs, où le chanteur se moque un brin de lui-même. Viennent ensuite des questionnements sur notre rapport au monde animal à partir de l’expérience des récents confinements en période de pandémie. Encore plus surprenant est la chanson L’humanité où un père s’inquiète de voir son fils défiler lors d’un rassemblement de l’extrême droite. Il s’agit moins d’engagement que de « ressenti » a expliqué Dominique A sur France Inter, développant son approche : « La vie en société s’invite dans mes chansons. Mais j’aime l’idée d’être traversé par quelque chose, que cela sorte sans l’avoir décidé. Les œuvres portées par trop d’intention sont tuées dans l’œuf…Il ne faut pas chercher à tout comprendre, c’est le principe de la poésie au sens large. »
Et le poète Dominique A (il signe alors de son nom dans ses recueils, Dominique Ané) ne cesse d’explorer son monde en toute liberté. Lecteur du Chilien Oscar Hanh ou de la Canadienne Joséphine Bacon il cultive le décalage. Comme il le fait encore sur scène avec « Memento », chansons autour du Prix Nobel, Patrick Modiano. Dominique A écrit également pour d’autres (un duo franco-anglais avec H-Burns) et a encore récemment chanté trois titres sur un album hommage à Serge Rezvani. Celui-là même qui lui a dit après l’enregistrement : « Tu as été au maximum de ce que je pouvais espérer. Tu as une très belle voix, mais tu as quelque chose en plus qui est très rare ». Un cadeau apprécié par Dominique A qui confiait en 2023 dans La Croix que jusqu’à son cinquième disque « Auguri » (2001), il pensait que l’album qu’il enregistrait serait le dernier. La persévérance réussit bien au cinquantenaire.
Dominique A, Quelques lumières, Cinq7, double album, 2024. Le chanteur compositeur sera en concert à Lyon auditorium le 30 novembre et à la Philharmonie de Paris le 1er décembre, puis en tournée française dès le mois de mars 2025.
Actualité : Podcast sur Music & Co de Jérôme Chelius, du 21 au 25 octobre 2024, cinq épisodes, reprises de standards sur France Inter.
Le site de Dominique A, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Questions à Dominique A
Recueilli par Robert Migliorini pour NosEnchanteurs
« Du côté de la chanson, on en a peut-être un peu marre des machines, d’où possiblement une attirance pour un fonctionnement « à l’ancienne » »
NosEnchanteurs : -Dominique A, vous n’êtes pas un habitué des concerts classiques. Quels enseignements tirez-vous de l’expérience symphonique?
Dominique A : Sans être un habitué, j’ai été récitant de « Pierre et le loup » il y a quelques années, et je vais le refaire d’ailleurs en décembre. Même si, de fait, je ne chantais pas, j’avais pris le pli, si j’ose dire, d’être le seul élément sonorisé sur les planches, et du son que produit un orchestre. J’étais prêt à aller plus loin. Et en fait, je l’ai ressenti comme quelque chose d’assez naturel, adapté au type de chansons que j’écris. ça peut paraître prétentieux, j’en ai bien conscience, mais voilà, j’ai eu le sentiment que d’une certaine manière, il y avait une forme d’aboutissement.
- Quelles consignes avez-vous donné à l’arrangeur orchestrateur que vous avez choisi?
Assez peu en fait, j’avais envie d’être surpris par les propositions de David (Euverte), qui est un ami avec lequel je travaille depuis longtemps. De fil en aiguille, et de par les chansons choisies, on a mis l’accent sur l’aspect narratif des chansons, et je l’aiguillais quand il me semblait qu’il y avait un truc qui ne fonctionnait pas entre les mots et l’arrangement. Pour le reste, il avait quartier libre.
-On a parlé de déconstruction radicale avant harmonisation. Vous avez cette expérience sur ce double album?
Non, pas de déconstruction, ça ne m’intéresse pas, j’ai déjà donné dans ce domaine, et j’ai plus envie d’harmonie dorénavant. Ce sont des relectures, des versions possibles, pas « les » versions ultimes, que ce soit avec orchestre ou en trio.
-Abandonnerez vous les guitares désormais?
Il y en a quand même un peu sur le volet trio, principalement acoustique ceci dit, mais je sens que revenir à l’électrique me titille. En fait, j’ai mis les guitares un peu de côté pour me concentrer sur le chant, et me laisser porter physiquement, sans être entravé par ce gros bout de bois sur l’estomac. Mais je sens bien que le grain de l’électrique commence à me manquer.
-Comment cette expérience change votre façon de chanter ou d’écrire des chansons?
Ca ne change rien, sincèrement. J’ai gagné en confiance, j’ai une meilleure connaissance de mes forces et de mes limites, mais c’est un processus en continu, le travail sur ce double disque n’en est qu’une étape.
-Le symphonique est à la mode. Vous expliquez vous pourquoi?
Pas vraiment, en fait. Du côté de la chanson, on en a peut-être un peu marre des machines, d’où possiblement une attirance pour un fonctionnement « à l’ancienne », avec la prise directe en ligne de mire, sans trop de bidouilles, et du côté du classique, peut-être une volonté de sortir « du répertoire », d’ouvrir les portes en grand pour éviter la sclérose.
-Quel sera votre prochain défi?
Le même qu’hier : tenter de rester pertinent, et ne pas lasser mon monde.
« Le temps qui passe sans moi » (Version symphonique, clip 2024)
« Corps de ferme à l’abandon » (Version symphonique, 2024, audio)
»Chemise à fleurs » (Version acoustique, 2024, audio)
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