Off Avignon 2024, Dimoné d’humeur galbée
9 juillet 2024, Avignon, La Scierie
Halo de lumière au noir, sons ronds grésillants de l’électrique. On pourrait bien être dans un désert américain, ciel courbe et poussière qui déboite, lumières qui filent à la vitesse des heures. On pourrait bien être revenu à l’état d’œuf premier, in utero. Puis la voix, une phrase nette.
C’est du son qui donne naissance à du sens. Ça rentre dans la peau, ça rentre dedans. Oh ! ça fait du bien. Oui, dans le noir plongés du studio de La Scierie, il – Dimoné – nous ouvre les pores bien plus efficacement qu’un gommage au miel, d’ailleurs c’est du jaune d’œuf, comme l’indique le titre : L’humeur du jaune d’œuf à midi. Ça donne la couleur : celle du mot, celle du galbe.
C’est physique. Le mot dérive par bouffées homonymiques (absolument dimoniaques), et « [la musique] surgit sans refus ni crainte de surprendre à s’accoupler d’un refrain quand le mot fait pop ». Est-ce vraiment de la chanson ? se questionnent celles et ceux qui connaissent l’artiste en chanteur. Même question qu’en 2022 sur Ça pixellise avec Jean-Christophe Sirven au piano, même réponse : « On s’en cogne ». Puisque le son fait extrasens, par bouffées douces, par brusqueries bienvenues, par la voix posée rude, par le halètement de l’électrique : « on est seul et on existe » ! C’est rugueux et doux – « une éponge spontex tartinée de beurre » comme lui-même décrivait sa conception de chanson dans Hexagone en 2017 ; incisif sans l’incision. Bordel, c’est bon. Ça démasque nos intérieurs, ça dérange, ça déride – même. C’est délicat aussi. C’est faire peau neuve. Et puis, « ça donne envie de détaler dans la rocaille », avec ce « il »– ami que Dimoné finit par décliner à (presque) toutes les personnes. Ou de réécouter Manset. Oui. On vous l’avait dit : la chanson n’est pas loin. Le beat en tous cas vibre : cette traversée de la vie de « il » nous fait diablement penser aux rythmiques de la poésie américaine, de Ginsberg en Ferlinghetti, de Burroughs en Brautigan (qu’il a lu).
Du pur Dimoné donc, moins le band (Bancal chéri) ou l’acolyte (Jean-Christophe Sirven) : l’exaltation du verbe et de la réverb’ lâchée sur la route, dont on ressort un peu sonné, pas sûr d’avoir tout saisi mais certain d’avoir été – saisi. Nous voilà dans l’œuf, encoquillés de mots, de sons et de lumières : tout se répond, comme du Baudelaire acté. On parle poussière et la silhouette se fait indiscernable : dans le rai de lumière, les doigts jouent justement de la poussière matérialisée. Puis la diffraction stroboscopique plus tard accompagne une transe techno saturée : l’heure de « changer de comportement ». Ce seul en scène n’est pas une création solitaire : il s’appuie sur une dramaturgie pensée aux côtés de la metteuse en scène infra-ordinaire Virginie Baes, et du génie lumière de Jonathan Morton. Ça se sent, ça se ressent.
C’est ainsi que de l’œuf à midi, on ne ressort peut-être pas avec des lalala dans la tête. « Il faut digérer », « c’est dense » disent certains, disent certaines. Quoique. Un refrain subsiste. Des vibrations, une émotion indicible. Qui aurait cru qu’un œuf nous ferait tant d’effet ?
Le site de Dimoné, c’est ici. ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
L’humeur du jaune d’œuf à midi, 12h20 encore les 15 et 17 juillet à La Scierie, 15 boulevard Saint-Lazare à Avignon, dans le cadre de Fédéchanson /ChansonOff à Avignon
et le 15 novembre en co-plateau avec Bertille à À Thou Bout d’Chant à Lyon
« Le cours des choses » de « Ça pixellise », avec Jean-Christophe Sirven
Faut se laisser embarquer dans ce voyage onirique dimonien : ça décape, ça décoiffe, ça fait un bien fou !
Quel papier !
Une vision à la fois juste et dézinguée d’un spectacle à la foi dézingué et juste : bravo Dimoné et merci Agnès André de l’avoir évoqué de façon si éloquente !